Du virtuose et du cabotin
Le temps file, les jours passent et je n’ai rien à dire.
Après mon retour de Normandie, les derniers cours m’ont ramené sur la terre ferme de la pédagogie du FLE, bien loin des nuées littéraires. Quelques jours après, en même temps que les examens, les charges administratives ont à nouveau plombé les journées, déjà rendues fort lourdes par la chaleur. Le plus souvent à mes côtés, T. encaisse aussi pas mal, avec un nouvel ordinateur à installer, le wifi de l’appartement à paramétrer, ses cours et ses examens, un livre en chantier, des fournisseurs à gérer pour monter une bibliothèque dont les étagères sont fixées aux murs. Sans quoi le moindre tremblement de terre les transformerait en armes fatales. J’imagine déjà les petits titres : leur culture ne leur a pas servi ; écrasés par ce qui les élevait, et autres formes de vengeance des incultes…
Ce matin, j’ai fait passer mon dernier examen, à l’université de Nagoya, le seul cours que je donne en dehors de ma fac. Sur Le Petit Prince, les huit premiers chapitres, parce que c’est ce que j’ai réussi à lire, faire lire et commenter depuis avril à une classe composée d’étudiants de facultés et de niveaux différents.
J’ai bien travaillé la progression de niveau des questions. Ça va du nombre de syllabes dans l’expression « à mille milles de toute terre habitée », qui est de 9 pour la majorité des Français mais qui peut passer à 13 si l’on reste enfermé dans le système de lecture japonais (a mi ru mi ru do tu to tè ru a bi té…), au commentaire moral et personnel de « droit devant soi on ne peut pas aller bien loin » ou de « c’est tellement mystérieux le pays des larmes ! »
J’ai également commencé la lecture du seul livre qui n’était pas de Volodine et consorts dans le Colissimo que je me suis envoyé le 19 juillet et reçu la semaine dernière : la récente pléiade des Mots et autres écrits autobiographiques de Sartre, Les Mots étant au programme de mon prochain cours de l’Institut franco-japonais à Tokyo.
Je pensais ne pas avoir à revenir à Sartre de sitôt, après le cours sur La Nausée il y a 5 ans (voir le JLR d’avril à juin 2005, principalement les samedis) et ce que je disais du virtuose et du cabotin des Mots (8 avril 2005). Mais plusieurs invités des émissions de France Culture de ce printemps m’ont convaincu qu’il y avait autre chose et que je serais bien stupide de passer à côté.
Évidemment, comme toutes les pléiades, c’est un pavé de mots écrits tout petit, de commentaires en cascades, souvent passionnants, et je me sens comme une puce de plage qui saute de l’intro à la notice en passant par l’incipit et ses notes avant d’être prise dans la pelletée d’un gamin qui me transforme en emmurée d’un château de sable jusqu’à la marée haute — là, c’est parce que je m’étais endormi…
Ah, je me souviens de ce que je voulais dire à la première ligne : l’étonnement de cette vitesse du temps qui passe ces jours-ci, surtout après la sorte de freinage de forcené qui caractérisait pour moi les derniers mois et plus encore les dernières semaines de préparation et d’anticipation de Cerisy sur et avec Volodine. Comme si toutes ces sensations de temps empêché, retenu, s’étaient accumulées pour soudain se décharger dès que j’aurais eu remis le pied sur le sol nippon — et faire basculer tout le reste du calendrier dans la décharge de l’été caniculaire.
Tags : Saint-Exupéry Antoine de, Sartre Jean-Paul, Volodine Antoine
Publié dans le JLR
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