Mon père vertical
Chère N.,
Je te dédie cette journée car nos échanges sms et photo l’ont rendue plus agréable.
Ai paramétré ma page Bouygues Télécom pour effectuer le rechargement de crédit en ligne. Et ça marche. Suis donc prêt pour la campagne.
Allé à Yerres en bus + RER, ait constaté que Nandy était sur la même ligne, plus loin. Te l’ai écrit.
Ai trouvé mon père vertical. Un peu recourbé vers le haut, comme une crosse de fougère. Mais qui se replierait progressivement. Depuis deux bons mois qu’il est revenu chez lui, sa vie au ralenti et les trois jours « perdus » chaque semaine à la dialyse, comme il dit. Et puis les sacs, affaires, documents, boîtes de médicaments qui s’accumulent partout, on dirait des remparts. Tu imagines ? Toi qui me proposais des bons restos vers Quincy…
On déjeune tout de même comme autrefois. Je suis témoin qu’il prend aussi des aliments salés (difficulté aussi d’en trouver des sans sel quand on n’a presque plus de mobilité, qu’un petit supermarché de quartier et pas de compétences informatiques).
Et puis on va marcher dans le parc Caillebotte, avec une boîte de Gini Lemon ; car étonnante incapacité des gens de cette génération de boire simplement de l’eau.
Joueurs de boules. Promeneurs de chiens et de poussettes. Barques familiales sur l’Yerres verte. Banc, souvent.
Je repars et fixe rendez-vous à Bikun sous la tour de la gare de Lyon. Il habite maintenant Porte Dorée. Tu te rends compte. Tous nos souvenirs…
On marche jusqu’à la Bastille en comblant le trou du silence, ou quasi, depuis deux ans. J’aime toujours sa sorte de joie de vivre, son indépendance farouche mais sans agressivité. Un peu comme toi.
Tu as vu la photo que je t’ai envoyée du restaurant du Marché des Blancs Manteaux, sans grand écran, où on a très bien mangé. Alors que je cherche le pléiade des Mots qui vient de sortir et qui est déjà en rupture de stock partout, c’est ironique.
La dernière photo que je t’ai envoyée, du pont de Sully-Morland, en référence à la promenade de vendredi soir. Et cette fois, absolument personne sur les berges. Sont tous devant des écrans, et zéro à zéro pendant deux heures… Quelle pitié.
C’est la nuit. Les excités du ballon rond s’époumonent dans les cours intérieures jusque vers minuit. Les références à l’Espagne fusent, les beuglements reçoivent des insultes de quelques voisins en quête de sommeil et aussitôt qualifiés d’intolérants (je résume). Après, j’imagine qu’ils finissent la nuit dans leurs déjections, sur les parquets ou sur des trottoirs.
C’était comme ça aussi, par chez toi ?
En tout cas, à très bientôt.
Tags : Sartre Jean-Paul
Publié dans le JLR