Le pied sur les îles
Les deux événements les plus importants depuis que j’ai mis le pied sur les îles du Japon et que seule la rencontre de T. dépasse, je ne peux pas en parler. C’est comme ça depuis un mois. Le silence fait partie de leurs conditions de pleine réussite. Leur processus de complète maturation n’est pas encore achevé. Des coups tellement gros… qu’au début ça me paraissait plutôt être des tuiles. C’est un peu pour cela que mon journal est tellement… ailleurs. D’autres pages me requièrent, celles de mes cours en premier lieu, et tous les documents qu’il faut avaler ou remplir ou demander, les courriers à lire, écrire, trier.
Mais depuis hier soir, une autre bonne nouvelle m’est arrivée par un coup de téléphone de mon père. Que je peux dire, celle-là. En janvier, il était à l’article ; en février, les médecins voulaient le mettre définitivement en maison de retraite ; en mars, il pouvait à peine faire dix pas par jour ; et voilà que mardi prochain, il va rentrer chez lui, la tête haute, debout. Peut-être pour trois mois ? Peut-être pour dix ans ? Qu’importe ! (quoique…) C’est le principe. Il voulait rentrer chez lui. Il avait mon assentiment, bien sûr. Son fils unique qui ne signe pas le papier d’admission au mouroir, ce n’est pas rien. L’aide de quelques membres de la famille qui sont dans l’Essonne, et maintenant l’aide à domicile que le dossier d’APA lui permet d’obtenir — la seule chose concrète que j’ai pu faire, finalement, durant mon séjour en France. Certes il y aura toujours ces trois séances de dialyse par semaine, cette rénale épée de Damoclès, même si ça fait un peu sortir, voyager, voir des gens, finalement. La fade alimentation sans sel, ou quasi. Mais quoi ! Marcher dans le parc Caillebotte, dessiner, peindre, photographier aussi. Tant que ça lui importe.
D’habitude — enfin, depuis un mois — d’habitude, c’est moi qui l’appelle, dans sa chambre de la clinique. Et là, hier soir, symboliquement, c’est lui qui a appelé, pour nous dire qu’il partait mardi. Pas trop fier — non, il connaît sa situation — mais, content. Et occupé, avec ça. Je lui demande s’il veut que je le rappelle dans une heure, quand nous aurons fini de dîner, pour qu’il ne paie pas trop cher en téléphone, mais il me répond qu’il ne sera pas dans sa chambre, qu’il est en bas, au rez-de-chaussée, en train de dessiner — le paysage ? quelqu’un ? on ne le saura pas, pas aujourd’hui.
Bon, j’appellerai demain.
« Les moules servies, Zazie se jette dessus, plonge dans la sauce, patauge dans le jus, s’en barbouille. Les lamellibranches qui ont résisté à la cuisson sont forcés dans leur coquille avec une férocité mérovingienne. Tout juste si la gamine ne croquerait pas dedans. Quand elle a tout liquidé, eh bien, elle ne dit pas non pour ce qui est des frites. » (Raymond Queneau, Zazie dans le métro, ch. 4, p. 50)
Un peu comme T. au Saint-Martin, hier midi. Sauf qu’elle mange proprement et que toutes les moules sont ouvertes.
Tags : Queneau Raymond
Publié dans le JLR
Heureuse d’avoir de vos nouvelles.
Vive la vie. On ne le dira jamais assez.
Avril n’est décidément pas la saison des lamellibranches en Bretagne…
Heureusement qu’il y avait les frites! Et chouette, vous êtes revenu… avec des tuiles qui sont de bonnes nouvelles! Deux fois chouette!
J’espère que tout va bien pour votre père depuis. Je sais bien, on ne sait jamais à ces âges-là… (à aucune d’ailleurs). Mais c’est un peu pareil pour mon père, alors, on croise les doigts.
Merci de vos encouragements !
@JoseAngel : oui, à peu près, comme peut aller un homme qui va à la dialyse trois fois par semaine et qui doit tout manger sans sel…