Les soupes molles de mots du temps
Le… problème… du web littéraire, maintenant, ce n’est pas tellement qu’on y trouve n’importe quoi (c’est la nature du web depuis le début), c’est que par un phénomène de regroupements et de fréquentations croisées, voire de collaborations enfilées les unes dans les autres, les entreprises individuelles (et individuellement collectives, je m’entends) qui avaient une originalité radicale, marginale, deviennent (ou ont fait place à) des auberges espagnoles dans lesquelles la banalité se pare du cachet du lieu d’accueil et se gonfle de prétentions expérimentales, multimédia, synchrotwittées, et tout et tout, alors que, franchement, c’est nul, qu’il s’agisse de création ou de critique.
Sûr que si les promoteurs de ces revues virtuelles, portails pseudo-littéraires et quasi-maisons d’édition avaient à payer pour faire imprimer ce à quoi ils donnent leur agrément, ils y regarderaient à deux fois. Au lieu de quoi ils brillent, aux yeux des plumitifs, dans le ciel des e-lettrés du XXIe siècle.
En passant d’une époque de manifestation des egos non consensuels, y compris dans des lieux d’accueil comme Inventaire/Invention ou Zazieweb — ou Remue.net heureusement toujours là —, à une époque de dépendance à des micro-réseaux sociaux, j’ai la sensation d’avoir perdu l’attachement que j’avais pour des gens infréquentables mais énergiques et uniques et de n’avoir plus le choix qu’entre les soupes molles de mots du temps de groupes autosatisfaits et les accès sécurisés où s’astiquent dans le noir les derniers monomaniaques graphomanes.
L’amitié diluée que nous propose Facebook et l’incontinence verbale qui pollue Twitter sont en partie responsables de cette nouvelle situation. L’élargissement du nombre d’individus en ligne fait le reste. Honneur à ceux qui tiennent un cap. Je n’en nommerai que quatre, qui m’ont fait des signes d’amitié — vraie — très récemment : JCB, PDJ, MP et FB.
Ça ne veut pas dire que je déteste tous les autres, loin de là. Simplement, je tiens chronique d’une évolution. Dans laquelle je suis, moi aussi, sans doute, critiquable.
Tags : Bon François, Bourdais Jean-Claude, De Jonckheere Philippe, Pautrel Marc
Publié dans le JLR
bon, je croyais que c’était le 1er paragraphe que tu nous envoyais à la figure, ô déserteur en quête de justifications à son incontournable racine de désir… y a bien un moment où tu vas enfourcher ton nouveau blog-vélo avec autre équilibre que les formes précédentes – en tout cas, besoin de lecture demeure, pour ceux que tu as éduqués à…
« Nous » ? Faudrait voir qui… Y’en a sûrement des concernés dans le tas…
En ce qui te concerne, non. Ton litté-réti-particularisme réaffirme régulièrement sa nécessité.
Même tes récentes aventures ipadesques — que d’aucuns peuvent trouver frivoles, geekoïdes ou consuméristes — trouveront j’en suis sûr bientôt un débouché proprement littéraire !
Berlol
Le problème c’est que nous les dinosaures du truc, pas encore immergés dans la soupe sociale aux « amis », si des fois il nous prenait d’arrêter de produire du contenu à propos duquel ils ne pourraient plus twitter, tagger, poker et je ne sais quel autre verbe du premier groupe pas encore dans le Robert, ça manquerait un peu d’air non?, leur truc de réseaux so-so?
C’est sûrement mon mauvais caractère réactionnaire, mais plus les « outils » (gadgets) se développent et plus je vois l’urgence de revenir au html de Papa, avec lequel il ne me semble pas, loin s’en faut, qu’on ait tout dit. Ou autrement dit, plus le vecteur est puissant et plus le message est pauvre. Maintes fois vérifié.
Sans compter, chaque fois que je vois un compte cui cui ou je ne sais quoi d’apparenté, mes yeux saignent devant ces mises en page, ces images de fond, ces boutons et ces cadres arrondis, ces logos collectionnés comme autrefois des épingles publicitaires. Un monde terriblement immature, enfantin.
Non, Berlol, tu n’es pas fou, et je suis ravi (fier) de faire partie de tes amis, sans doute dans le groupe des « gens infréquentables mais énergiques ».
Amicalement, donc.
Phil
c’est bien ombrageux, par ici, je trouve (et l’incontinence verbale qui gagne m’empêche de repartir en silence)
pour ne pas repartir en désaccord mais en silence afin ne pas être désagréable, selon ma première impulsion,
ni en m’exclamant « Finkielkraut sort de ce corps » selon ma deuxième tentation,
je dirai que quant à moi j’ai la faiblesse de considérer que l’immaturité et la curiosité pour les engouements de nos contemporains, dans un monde tellement mûr qu’il en est pourri, sont plutôt des qualités à cultiver
… et que oui, bien sûr, nos distractions en ligne (cuicuiteuses ou pas) sont bien vaines, mais comme tout le reste de ce qui meuble nos vies à mon sens : ce qui importe c’est d’en être conscient et capable d’en rire, sans s’ériger en censeur
… mais, au fait, ton billet, dont je m’avise qu’il est publié le 1er avril, était peut-être parodique : dans ce cas je salue l’artiste !
Merci, Philippe. Sache — en toute amitié — qu’il est possible d’avoir un petit côté « réactionnaire » et d’être en même temps sur les réseaux sociaux. J’appellerai cela de la curiosité critique et, comme le dit en substance Christine :
tout est vanité, « l’homme n’est que poussière, c’est dire l’importance du plumeau ! » (A. Vialatte)Toutefois, la date du 1er avril n’est en effet pas innocente ; Martine a manqué quelques grano salis…
j’aime mieux ça ! … j’ai failli citer Vialatte et son plumeau la nuit dernière
Pas pu m’empêcher de lire ce billet en le rapprochant du précédent. (Avais-je tort ?)