Objet d’aucune surenchère

mardi 30 mars 2010, à 23:14 par Berlol – Enregistrer & partager

Longue attente sur un banc d’hôpital, buvant à petits gobelets un liquide immonde avant que d’être sondé par le fondement — sans anesthésie — et que d’une protubérance bénigne je fusse amputé.

Moins bénin alors apparaîtra le rapprochement de hasard de deux textes fort distants — au moins en apparence.

« Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
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C’est une chose trop oubliée, dit le renard.
Ça signifie « Créer des liens… »
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Créer des liens ?
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Bien sûr, dit le renard. Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde…
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Je commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur… je crois qu’elle m’a apprivoisé… »
(Antoine de Saint-Exupéry, Le petit Prince, 1943)

« Toute connotation péjorative, même la plus discrète a disparu dans l’usage courant que la LTI fait de ce mot. Les jours de cérémonie, lors de l’anniversaire de Hitler par exemple ou le jour anniversaire de la prise du pouvoir, il n’y avait pas un article de journal, pas un message de félicitations, pas un appel à quelque partie de la troupe ou quelque organisation, qui ne comprît un « éloge fanatique » ou une « profession de foi fanatique » et qui ne témoignât d’une « foi fanatique » en la pérennité [ewige Dauer] du Reich hitlérien. Et pendant la guerre plus que jamais, voire quand les défaites furent impossibles à maquiller ! Plus la situation s’assombrissait, plus la « foi fanatique dans la victoire finale », dans le Fürher, ou la confiance dans le fanatisme du peuple comme dans une vertu fondamentale des Allemands étaient exprimées souvent.
[…] Mais pour celui qui était, en matière de langue, à la tête du Troisième Reich, et dont le premier souci était l’effet optimal du poison galvanisant, l’usure de ce mot dut apparaître comme un affaiblissement interne. Et, ainsi, Goebbels fut poussé à cette absurdité qui consistait à tenter de renchérir sur ce qui ne pouvait plus faire l’objet d’aucune surenchère. Dans le
Reich du 13 novembre 1944, il écrivit que la situation ne pouvait être sauvée que par un « fanatisme sauvage ». Comme si la sauvagerie n’était pas l’état nécessaire du fanatique, comme s’il pouvait y avoir un fanatisme apprivoisé. » (Victor Klemperer, LTI, p. 92-93)

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Publié dans le JLR

4 réponses à “Objet d’aucune surenchère”

  1. Berlol dit :

    « En rester là »… Que voulez-vous dire ? Ne pas aller plus loin dans la compréhension historique de la paire « sauvage » / « apprivoisé » ? Ne pas voir le rapport entre le conte de St-Exupéry et les constats de Klemperer ?

  2. gombrovitzsczchs dit :

    En rester là:
    Ne pas poursuivre davantage;
    Ne pas se croire obligé d’accabler ses malheureux contemporains de la fastidieuse contemplation de son inanité;
    S’effacer;
    Se dissoudre dans le silence.

  3. Berlol dit :

    Sans doute, sans doute. Merci.
    Après vous.