Tous les rêves sont érotiques
Examen de fin de semestre et concours d’entrée sont certes pénibles, voire ennuyeux, mais occasions aussi, au hasard des co-surveillances, de rencontrer des personnes maintes fois croisées sur le campus sans le temps d’autre chose qu’un vague salut de tête. Ainsi ce matin, arrivant dans un amphi, quelqu’un que je pensais Américain me dit « Bonjour »… Il enseigne bien l’anglais mais en fait il est Québécois, de Montréal. Il me dit qu’il y en a un deuxième dans la fac. Et l’on ne se connaît pas. Alors que justement David et moi souhaitons l’ouverture sur autre chose que la France hexagonale…
Après le déjeuner, je retrouve mes collègues et étudiants, toute notre promo de 1ère année. C’est la première fois que les étudiants voient leurs quatre profs français en même temps. Séance de photos et franche rigolade, juste avant l’examen. Ça décrispe, on laisse faire.
Non seulement le module Netvibes Activities remarche (voir échange avec François dans les commentaires d’hier) mais en plus ils répondent gentiment à mon message d’hier en disant que ça devrait être réglé. Trop sympa !
Extrait d’un des films récemment reçus, vu dans l’après-midi, avec grand plaisir. Qui saurait dire ce que c’est avant d’arriver à la référence ?
« […] ni cinéma ni théâtre, non, je suis comédienne de rêves.
— hhh… c’est intéressant… En quoi est-ce que ça consiste ?
— Comme le nom l’indique, je joue dans les rêves des gens.
— hhn… Comment est-ce possible ?
— Mais de façon toute naturelle. Je veux dire, le monde des rêves est aussi réel que celui de la vie éveillée. Ne le saviez-vous pas, John Locke ?
— Vous voulez-dire qu’il est aussi matériel, aussi palpable ?
— Mais bien entendu, peut-être même bien davantage. Vos questions sont étranges. Le monde des rêves ressemble d’ailleurs beaucoup à l’autre. C’est son double exact, son jumeau : il y a des personnages, des objets, des paroles, des peurs, des plaisirs, des drames… Mais tout y est infiniment plus violent.
— Les rêves érotiques ?
— Tous les rêves sont érotiques. C’est ce qui est passionnant pour les comédiens.
— Le métier doit être difficile…
— Cela s’apprend. Il y a des écoles, des concours, des diplômes. Et les non-professionnels sont vite éliminés.
— Qu’est-ce qu’on enseigne dans ces écoles ?
— Mais toutes sortes de choses : l’expression corporelle, le travail de la voix, la narratologie, la psychanalyse, le droit pénal, la peinture orientaliste, le principe de causalité, la contradiction comme moteur de l’histoire…
— Pourquoi le droit pénal ?
— Nous devons savoir exactement ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Et les peines encourues. Les rêves sont é-troi-te-ment surveillés par la police. Beh, vous savez par exemple que ceux qui mettent en jeu les mineurs, les garçonnets ou adolescentes impubères sont strictement interdits. Mm… C’est dommage d’ailleurs, je connaissais une ravissante petite fille qui voulait jouer dans un rêve sado-lesbien à gros budget. L’auteur était d’accord, les parents, les avocats aussi. Et c’est le producteur, qui s’est montré intraitable, invoquant sa responsabilité morale, la protection de l’enfance, les risques sanitaires, je ne sais quoi encore… La morale ! Il s’en battait l’œil des deux mains. En réalité, il avait peur pour ses sous ! Ah, je trouve ça scandaleux. Pas vous ?
— Oui, oui, bien sûr. Mais… le meurtre… est autorisé ?
— Fort heureusement ! Y compris le meurtre aggravé, avec séquestration et torture. Eh, il ne manquerait plus ça, qu’ils nous l’interdisent ! Remarquez, ils ont essayé, il y a quelques années. Un gouvernement bien pensant en période électorale. Ah ! ça a fait un tollé dans la profession ! Mais, sous la menace d’une grève générale avec occupation de l’inconscient collectif, les pouvoirs publics ont reculé. Vous imaginez : plus personne n’aurait été en mesure de rêver quoi que ce soit ! Les médecins ont dit que les gens allaient mourir en masse. Sans compter que les riches auraient délocalisé leurs rêves dans des paradis oniriques qui prospèrent au Moyen-Orient ou dans les Bahamas. Pour ne pas perdre la face, le gouvernement a décidé que seuls les rêves les plus coûteux ne seraient plus remboursés à 100% par la sécurité sociale. Toujours la société à deux vitesses ! Je trouve ça, mais, inadmissible. Pas vous ?
— Si. Si, évidemment. Mais dites-moi, ces rêves, vous les inventez donc pour les gens ?
— Ah non pas du tout, non. Non non. Le public n’en voudrait pas. Il y a des écrivains spécialistes dans ce genre de récits. Les onirographes, comme on les appelle. D’ailleurs, ils gagnent leur vie confortablement.
— Qui leur verse les droits d’auteur ?
— Ben, la SACD, comme d’habitude. Il s’agit de droits de représentation mentale. Les acteurs, les comédiens aussi ont leurs organismes gouvernementaux de répartition.
— C’est vrai, je suis bête. En confidence, mademoiselle Hermione… vous avez joué quelquefois dans mes rêves ?
— Mais oui, souvent même. En particulier depuis que vous habitez au Maroc. C’est même pour cette raison que vous m’avez reconnue hier soir aussi vite, et que vous m’appeliez Leïla. Vous vous souvenez ? La plante de mon pied redressée à la verticale…» (Arielle Dombasle et James Wilby dans C’est Gradiva qui vous appelle d’Alain Robbe-Grillet, 2006, de 1:22:00 à 1:27:30)
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Publié dans le JLR