L’hiver des doudounes
Pendant que T. va donner ses premiers cours de l’année, qui sont en fait les derniers du semestre universitaire, je surveille l’enregistrement automatique de la deuxième partie de la lecture de Pierrot mon ami dans les Nuits de France Culture, et je m’occupe encore des rapports de mes étudiants — ce qui prend toujours beaucoup de temps. Courriers aussi.
On se retrouve vers 16h30 à l’entrée des vestiaires du centre de sport où T. va aller nager tandis que je pédalerai en lisant Avital Ronell. Et l’on se retrouve deux heures plus tard, au neuvième étage, autour d’un jus de tomate.
« Musil observe que l’idiot va souvent par couple — comme Dupont et Dupond, peut-être, ou « Dick und Doof » (la version allemande de Laurel et Hardy), ou Bouvard et Pécuchet, ou, si l’on remonte plus loin dans le temps, jusqu’à la comédie antique, comme l’alazon et l’eiron, formant le fameux couple de l’imbécile et de l’idiot (dumb-ass) qui apparaît dans les réflexions de Paul de Man sur l’ironie. […]
De tels couples, qui sont, socialement ou rhétoriquement, bien assortis, reproduisent le réflexe d’une violence domestique omniprésente inscrite par la bêtise, ou ce que Musil décrit comme la politique de la bêtise, une politique que les couples mènent d’abord et avant tout sur le front intérieur. Le mot « stupide », comme dans « Tu es stupide », offre un moyen pour rabaisser implacablement l’autre. La hiérarchie au sein d’un couple requiert souvent une stratégie de recours aux us et actes de la bêtise, un arsenal d’étreintes hostiles digne d’un ministère de l’Intérieur. La partie la plus faible peut avoir à endosser le rôle de la bêtise pour, en fait, s’en sortir. Qu’arrive-t-il à celui qui subit l’attaque, à celui à qui échoit toujours le rôle du mannequin que l’on utilise dans les crash tests ? » (Avital Ronell, Stupidity, p. 150-151)
Il y en a partout ; au moins sept personnes sur dix en portent une… C’est l’hiver des doudounes. Doudounes manteaux, doudounes vestes, doudounes blousons, doudounes à col fourré, doudounes cintrées, doudounes luisantes et surpiquées qui transforment les gens, surtout de dos, en d’immondes insectes articulés et dressés sur leurs pattes arrières, blattes, scarabées, mille-pattes poilus. Du léger étonnement de voir une mode démarrer, au début de l’hiver, on est passé, au moins T. et moi, à un franc dégoût des doudounes, d’autant qu’il ne fait pas très froid. D’ailleurs, il y en a tellement qu’on se demande où les fabricants sont allés chercher une telle quantité de duvet de canard, s’ils n’y ont pas mis de la plume de pigeon en charpie, si les usines chinoises ont inventé le caneton hyperduveteux ou directement synthétisé la fibre…
Dîner de tempuras — ça faisait longtemps — en haut de Bunkamura. On parle de Balzac dont T. vient d’emprunter les deux tomes en japonais de Splendeurs et Misères des courtisanes, qui est selon moi un des sommets de la carrière de Balzac.
Tags : Balzac Honoré de, Man Paul de, Musil Robert, Queneau Raymond, Ronell Avital
Publié dans le JLR
tant pis je mets ma doudoune pour courses et déneigement
Bah si ça s’impose, ouais, d’accord…
Là maintenant tout de suite, je donnerais cher pour en porter une, même orange…
Je vois que ma provo fait son petit effet !…