Marteau à deux mains
On est au-delà du Saint-Martin, quand ça sonne, les douze coups. Sur la Okubo-dori, une rue moche et presque sans lumières ni voitures. Aucun piéton. Devant un hôpital éteint, en direction de la station Iidabashi. Tout est fermé, strictement personne autour de nous. On finit par se demander si c’est bien la nuit du réveillon. Il fait 4 °C et l’on n’a pas du tout envie de rentrer…
Descendons dans le métro juste quand une rame passe. Jusqu’à Akasaka où l’on va déambuler dans les rues, voir les illuminations et les patineurs d’Akasaka-Sakas… Mais ça casse rien et la musique est nulle.
Peu après, on arrive au temple du quartier d’enfance de T., où nos offices familiaux sont encore célébrés. C’est presque la fin mais on nous reconnaît. Un peu comme à la porte d’un club VIP, quand on est VIP du club. Le prêtre arrive sur la fin de ses 108 coups — comme les 108 défauts et appétits de l’homme (ou poisons ou penchants terrestres, de l’intraduisible bon-nou qui vient lui-même du sanskrit) — et nous propose, pour clore l’affaire et ouvrir l’année, d’en frapper deux chacun, T. et moi. On le suit. La cloche, étonnamment, se trouve dans l’angle d’un couloir, pas du tout mise en valeur. La grande classe. Allez, c’est T. qui passe en premier, marteau à deux mains puis se bouchant les oreilles juste après. Le prêtre dit de taper plus fort. À mon tour, je m’y colle ayant l’impression que c’est un pneu dans ma tête que je vais réveiller les démons…
— Parce que démonte-pneu.
Bon, OK. C’est rien, c’est pas grave, c’est l’effet du çon. Passé le bug, on reprend les politesses d’usage, et c’est des shinnen akemashite omedetou gozaimasu à n’en plus finir — d’ailleurs, y’en a pour trois jours, autant l’apprendre par cœur… Et de surcroît, on nous donne de jolis petits sacs garnis chacun d’une pomme et de deux clémentines. Pour notre déplacement.
Errons sonnés dans les rues jusqu’à une bouche qu’on s’enfile et au fond de laquelle une autre rame sans eau nous renvoie d’où nous venions, à la maison.
Y revenus avant deux heures du matin — et toujours sans avoir rien bu d’alcoolique — finissons le dernier épisode de Damages de la saison. Comme ça, c’est fait.
Et on se couche…
Lever un peu plus tard que d’habitude. T. prépare le premier déjeuner traditionnel, osechi et ozoni.
De mon côté, léger mal de tête qui ne passera qu’un peu plus tard, grâce à la marche à pied. Car, comme d’habitude, nous allons à pied jusqu’à l’hôtel Impérial, à Hibiya, et, cette année encore, par grand soleil. Une promenade de santé d’environ cinq kilomètres.
Discutons notamment de la cérémonie funéraire que T. doit organiser cette année pour feu ses parents, de la date à laquelle ça pourrait avoir lieu.
Au lounge de l’hôtel Impérial, prenons cafés et gâteaux avant d’aller flâner dans les boutiques. À l’extérieur d’une bijouterie, trouvons pour T. une superbe paire de boucles d’oreilles — dont les concrétions d’huîtres semblent vouloir nous rappeler nos dix ans de mariage, ce qui leur éviterait d’être exhibées aux oreilles de bien plus laides rombières que T.
En dînant et après, State of Play (Jeux de pouvoir, K. Macdonald, 2009). Classique opposition entre pouvoir politique et journalisme autour de la monstruosité d’un scandale, mais avec dédoublement côté journalisme : le pugnace et lent reporter de terrain (dont les investisseurs du journal voudraient se débarrasser) doit composer, c’est le cas de le dire, avec l’arrogante blogueuse en fauteuil (reine du ranking)…
Publié dans le JLR