Moins dangereux sous des apparences rebelles
Recevions un ami de T., hier soir. Ai bien réussi mon poulet au jus, la ratatouille et des fraises à la chantilly, battue à la main avec un fouet minuscule, mais au moins aussi bonne que celle de là-bas. Pouvions enfin donner à S. le paquet que nous avions gardé pour lui depuis Lyon début septembre.
Mis de côté des mois durant, les meilleurs cadeaux se transforment en fardeaux dont on est content de se débarrasser.
Un qui n’aura pas moisi dans un placard : c’est l’iPod Nano 16GB rose fuchsia que nous sommes allés chercher pour T. ce matin au magasin Bic Camera de Yurakucho, juste avant notre dernier déjeuner de l’année au Saint-Martin ! Quant à moi, j’ai reçu avant-hier un superbe stylo-plume — le vieux style ! — Faber-Castell en métal brossé. Et par ma sœur, Dieu seul me voit en version interminable, film qui a plus de dix ans déjà mais dont je ne me lasse pas…
Des idées me viennent quand je lis ici ou là des propos sur le système scolaire ? Ou sur l’usage du Grand Emprunt dont on ne verra finalement pas beaucoup plus qu’un centime. Aujourd’hui, cela se recoupe étonnamment avec ce que je viens d’entendre dans La Suite dans les idées de samedi dernier, « Cette France-là, celle du Ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale », avec Michel Feher.
Éduquer tout le monde. Belle idée — ma préférée — avec tous les risques que semble comporter la possibilité pour tous d’y voir clair dans les agissements économiques, politiques, médiatiques, moraux et intellectuels de ceux qui gouvernent.
Ou — donc, préférence de ceux qui nous gouvernent — former une élite ET occuper (tous) les autres (c’est indissociable). C’est-à-dire former (et non éduquer) dans un moule qui les tienne (les fasse tenir les uns aux autres, synchroniquement, et les uns des autres, diachroniquement) ceux qui profiteront, dirigeront et, collatéralement, auront pour mission d’occuper les masses (productrices et consommatrices) de façon à ce qu’elles soient les plus dociles possible, heureuses si possible (en général, les gens heureux sont dociles, voire serviles). Les occuper, donc et surtout, par le travail + le loisir + les affairements incessants auxquels contraignent d’un bout à l’autre de l’année la consommation et/ou la précarité. D’où, aussi, qu’on n’a plus besoin de la classe moyenne : une minorité de pouvoir et de possession suffit amplement — exactement : oligarchie.
Pour ce qui est du loisir, l’élite, donc, par le contrôle des médias audio-visuels, textuels et, si possible, informatiques, doit absolument favoriser les artistes insipides, apolitiques, ou dont le discours politique est fait soit de langue de bois soit d’idéalisme benêt, et faire agir les politiques en artistes, en soignant leur look, leurs relations avec les people les plus en vue et les moins dangereux sous des apparences rebelles (un Johnny Hallyday, sinon rien). Toutes les petites querelles intestines à fort relent moral ou historique (pour ce que les gens savent de la morale et de l’histoire), ou dévoilant des corruptions isolées, secondaires (et mieux maîtrisées si elles sont construites de toute pièce), sont bonnes à prendre : même si elles en font tomber un ou deux, elles créent du spectacle et suscitent des partisans du régime de plus en plus nombreux chez les exploités. D’ailleurs, les populations ainsi entretenues dans le suspense permanent du pouvoir et des aléas de la situation internationale deviennent les meilleures auxiliaires de la fiction globale, à l’instar de beaucoup de domestiques de l’Ancien Régime qui défendaient les nobles dans les troubles révolutionnaires non parce qu’ils craignaient de perdre leur place (ce qui est un mode de pensée du XIXe siècle) mais parce qu’ils croyaient à la fiction des castes et au prestige ancestral de la noblesse.
L’idéal d’aujourd’hui, en terme de fiction collective, serait que tous les exploités jusqu’au trognon aiment et comprennent qu’on les exploite non par méchanceté mais par nécessité. Et qu’ils en viennent à penser que s’ils étaient à la place du chef ou d’un de ses sbires, ils agiraient de même, seraient aussi vulgaires et décomplexés que lui. Si on peut les faire rêver à ça, au lieu des lendemains qui chantent, le tour est gagné.
L’impasse, est-ce vraiment le rêve de révolution ? Ne serait-ce pas le rêveur lui-même ?
Tags : Feher Michel, Podalydès Bruno, Rolin Olivier
Publié dans le JLR
Rebelle décoratif.
Eduquer plutôt que former, y repenser lundi – le coeur à l’ouvrage.
Lundi, c’est déjà demain ! Au boulot !
Demain ? Mais oui : j’oubliais que vous êtes demain avant nous.