Tant le rêve troubadouresque a d’empire
« C’est donc à moi seul désormais qu’il incombe de maintenir aux éditions de Minuit la tradition de l’auteur illisible et invendable. Une mission que je prends très à cœur, un flambeau que je serre à deux mains.» (Éric Chevillard, L’Autofictif, n° 712, le 3 novembre 2009)
C’est fou comme tout ce qui concerne Minuit m’est toujours cher. J’y réagis instantanément. Par exemple en annonçant ce matin à mes étudiants de l’Institut franco-japonais que la prochaine session de mon cours, réduite à 5 semaines pour cause de stage à Orléans, sera consacrée à Alto Solo d’Antoine Volodine.
Pour l’heure, plusieurs épisodes de L’Éducation sentimentale à traiter (chapitres V et VI de la première partie), avant d’en arriver à l’héritage (déjà évoqué à la première séance), puis prendre une vitesse de croisière pour, la semaine prochaine, sauter au milieu de la deuxième partie — le duel, commencé à l’assiette et fini sur le pouce.
Je développe d’abord — avis aux oreilles flaubertibles — l’idée que Frédéric est un âne. Précisément, dans son indécision à choisir entre réellement courtiser Mme Arnoux ou aller voir ailleurs, il est un âne buridanesque, capable de mourir puceau tant le rêve troubadouresque a d’empire sur lui (c’en est hallucinant !).
Et, même si ça n’est pas dans le cours de ce matin, j’ajoute que je suis sûr que Flaubert à sciemment voulu nous montrer cela. Pour répondre aux sempiternelles questions d’étudiants (et d’autres) voulant savoir si l’auteur était conscient, etc. : sachez que l’auteur a bossé là-dessus tous les jours pendant des années !… et cessez de croire que nous serions plus (ou trop) intelligents simplement parce que nous comprendrions, ou croirions comprendre ce qu’il a fait et voulu faire… Je suis même sûr qu’à ne vouloir accepter que le premier sens des textes, en contestant toujours les autres sens possibles sous prétexte qu’il n’y a pas un smiley ou une note manuscrite vendue 200.000 euros aux enchères, nous risquons de devenir de piètres lecteurs, pas du tout à la hauteur des œuvres qui nous sont léguées.
Fin de la parenthèse, même si : après les diverses péripéties qui nous occupent durant 90 minutes, c’est l’heure de l’aventure des mots bête, bêtise et des mots de sens voisin. Je n’ai même pas le temps de renvoyer aux études sur la bêtise chez Flaubert, d’ailleurs connues et nombreuses. J’observe comment il emploie les mots, comme d’habitude. Et comme toujours l’expression littéraire de la bêtise n’a que peu à voir avec l’emploi des mots (s’il fallait encore le répéter).
Sur ce point, notre époque n’est pas en reste. Nous sommes abreuvés, que dis-je : assommés, tétanisés, abrutis de bêtise gouvernementale. Et nous la dénonçons facebookement, nous nous en gargarisons twittiquement. Pour quel résultat ?
Ne les sous-estimons pas : la très médiatique bêtise gouvernementale est un leurre, c’est l’arme majeure d’un État totalitaire qui sait très bien où il va.
Occurrences dans le site Intratext | et pagination Pocket :
1 1, 2|p37 siècle. Ton désespoir est bête. De très grands particuliers
2 1, 4|p72 bleu, la multitude voit bête. Rien de moins naturel que
3 1, 5|p102 orgueilleux comme un paon, bête comme un dindon ; et quand
4 1, 5|p121 Comme ce spectacle est bête ! n’est-ce pas, monsieur ? «
5 1, 5|p122 comme une grâce de jeune bête sauvage dans toute sa personne,
6 2, 2|p180 Deslauriers. » Une vieille bête ! qui voit dans les bouleversements
7 2, 2|p184 épaules. » Mais je deviens bête ! » Et, prenant Dussardier
8 2, 2|p207 Ce n’est peut-être pas bête ! » répondit-elle. ~ Puis,
9 2, 2|p209 Sans compter qu’elle est bête comme un chou ! Elle écrit
10 2, 4|p276 importe, il a tort c’est si bête, le mariage ! » ~ — » Tu
11 2, 4|p296 que l’excuse était trop bête : ~ — » D’ailleurs, j’ai
12 2, 4|p301 ne serait peut-être pas bête ! dit Deslauriers. » ~ Frédéric
13 2, 5|p311 une jeune fille ; est-ce bête, les convenances ! Autrefois,
14 2, 6|p345 front. ~ » Ah ! je suis bête ! C’est l’émeute ! » Cette
15 3, 4|p479 mon Dieu, que je suis bête ! » dit la Maréchale. ~
2 1, 4|p50 pacifiques comme moutons, bêtes comme cornichons, et idoines
4 2, 3|p229 sont toutes si bêtes ! si bêtes ! Est-ce que tu peux causer
7 3, 1|p388 tous lui parurent plus bêtes que leur giberne. L’entretien
9 3, 1|p414 triomphalement, une égalité de bêtes brutes, un même niveau de
10 3, 3|p442 la répétition de ses mots bêtes tels que » Du flan ! A Chaillot ! «
11 3, 5|p505 répondit : ~ — » Pas si bêtes de nous faire tuer pour
1 1, 5|p83 désolait. ~ — » Ah ! quelle bêtise ! » ~ Ou bien elle l’avait
2 1, 5|p95 pourquoi, par lâcheté, par bêtise, dans l’espérance confuse
3 2, 1|p156 reconnu définitivement la bêtise de la Ligne. On ne devait
4 2, 2|p175 sans aucune exagération de bêtise maternelle. ~ La chambre
5 2, 2|p209 ailleurs ; c’est moi, dans ma bêtise, qui l’ai mené chez elle.
6 2, 6|p327 vu tant d’aveuglement, de bêtise ! Leur majorité même ne
7 3, 1|p366 volaille. ~ — » Quelle bêtise ! » grommela une voix dans
8 3, 1|p384 Communisme. ~ — » Quelle bêtise ! » dit Rosanette. » Est-ce
9 3, 5|p498 avant ! » ~ — » Quelle bêtise ! » ~ Alors, une fureur
10 3, 7|p517 pareille, ce qui prouve que la bêtise est féconde. » ~ — » Tu
2 1, 5|p94 propos, la satisfaction imbécile transpirant sur les fronts
4 2, 1|p143 entendu prononcer par cet imbécile jaillirent de sa mémoire,
8 2, 3|226 accordent dans l’idolâtrie imbécile de l’Autorité ! Exemples :
12 3, 1|p361 ne comprit pas, semblait imbécile, d’ailleurs. Tout autour,
13 3, 4|p480 pourquoi ? » ~ — » Un imbécile ! » ~ La politique, peut-être,
Nombreux termes voisins comme sot, sottise :
« voir les sots réussir », p. 89 ; « Quelle sottise ! », p. 98.
Tags : Buridan Jean, Chevillard Éric, Flaubert Gustave, flaubertible, Lindon Irène, Volodine Antoine
Publié dans le JLR