Beau mais naïf avènement du bonheur
Malgré le beau temps sur Tokyo, tout le début du cours sur le chapitre 2 de l’Éducation sentimentale, j’avais un peu l’impression qu’une partie de mon cerveau était restée sous l’oreiller. Les mots ne venaient pas alors que les phrases étaient déjà commencées, je martelais un rythme textuel comme une manivelle aux premiers tours d’un matin d’hiver. Des étincelles jaillies du texte autant que des mines studieuses des étudiants sont quand même venues à mon secours. J’ai pu, sur le thème de l’amitié, faire entendre en écho inversé ce chapitre et la fin du roman, les retrouvailles de Charles et Frédéric, vingt-sept ans après (3e partie, chapitre 7). Le ricanement de mépris de Madame Moreau mère en 1840 ne reçoit d’explication qu’en ces ultimes paragraphes de 1867, quand ils se remémorent avec joie leur passage raté chez la Turque, expliquant ainsi pourquoi « la Pénurie est la mère de la Sagesse »…
Enfin, la flaubertible aventure d’un mot était aujourd’hui celle de républicain(e)(s) & République.
Le tout à écouter ici, dans un document plus lourd mais de meilleure qualité que l’enregistrement de la semaine dernière, grâce à l’usage d’un Edirol ayant de meilleurs micros que le petit iRiver…
Concordance des mots :
- 1 1, 1| divertissante. ~ Il était républicain ; il avait voyagé, il connaissait (21, Arnoux)
- 2 1, 5| funeste à la démocratie. Républicain austère, il suspectait de (79, Sénécal)
- 3 2, 3| de la grande fabrique. Le républicain les gouvernait durement. Homme de théories, il ne considérait que les masses et se montrait impitoyable pour les individus. (248, S.)
- 4 3, 1| Fraternité, ayant toujours été républicain, au fond » . S’il votait, (368)
- 5 3, 1| emballeur d’en face, un autre républicain celui- là, il cassait les (383)
- 6 3, 4| paroles à Deslauriers. Le républicain tonna même contre l’insuffisance (458)
- 1 1, 3| forte tête et de convictions républicaines, un futur Saint-Just, disait (46)
- 2 2, 3| percera sous vos formes républicaines, et votre bonnet rouge ne (226)
- 3 2, 3| à certaines criailleries républicaines ! Nous avons dans notre (240)
- 4 3, 1| discuterait pas les grandes listes républicaines. Cependant, le Club de (376)
- 1 1, 2| il tenait des discours républicains ; enfin, elle crut savoir (33, Deslauriers)
- 2 3, 1| ça qu’ils sont tous, les républicains ! Une République à vingt-cinq (383)
- 3 3, 2| Ah ! espérons que MM. les républicains vont nous permettre de dîner ! (420)
- 1 2, 2| Pour nous amener, quoi ? la République ! comme si elle était possible (203)
- 2 2, 2| Tous déclarèrent que la République était impossible en France. (203)
- 3 2, 4| suprême pour établir la République. ~ Dussardier ne la chérissait (290)
- 4 3, 1| est-ce que ça fait ? La République est proclamée ! on sera (363)
- 5 3, 1| son fusil : ~ — » Vive la République ! » ~ Des cheminées du château, (363)
- 6 3, 1| elle se déclara pour la République, — comme avait déjà fait (365)
- 7 3, 1| cérémonie, bénissant la République, escortés par des serviteurs (366)
- 8 3, 1| commencé une figure de la République. Un de ses camarades vint (366)
- 9 3, 1| sacrebleu ! on escamote la République ! » Il était mécontent de (367)
- 10 3, 1| toutes les syllabes du mot République ; — ce qui n’empêchait (368)
- 11 3, 1| rallier franchement à la République » , et il parla de son père (369)
- 12 3, 1| Cela représentait la République, ou le Progrès, ou la Civilisation, (371)
- 13 3, 1| amour éternel aussi à la République ! » ~ — » Citoyens ! » (378)
- 14 3, 1| raccommode mes hardes ! C’est ta République. » ~ — » Pourquoi ma République ? (382)
- 15 3, 1| République. » ~ — » Pourquoi ma République ? » ~ — » C’est la mienne, (382)
- 16 3, 1| elle se fait entretenir, ta République ! Eh bien, amuse-toi avec (383)
- 17 3, 1| les républicains ! Une République à vingt-cinq pour cent ! (383)
- 18 3, 1| voudrez. » ~ Quant à la République, les choses s’arrangeraient ; (391)
- 19 3, 1| mois il criait : » Vive la République ! » et même il avait voté (393)
- 20 3, 1| qu’on voulait détruire la République. L’existence loin de la (393)
- 21 3, 1| vainqueurs détestaient la République ; et puis, on s’était montré (413)
- 22 3, 2| c’était avoir défendu la République. Le résultat, bien que favorable, (425)
- 23 3, 3| est pas crue. Enfin, la République me paraît vieille. Qui sait ? (451)
- 24 3, 4| Maintenant, ils tuent notre République, comme ils ont tué l’autre, (485)
- 25 3, 5| à crier : ~ — » Vive la République ! » ~ Il tomba sur le dos, (507)
- 2, 6| établissement de la meilleure des républiques, douze cent vingt-neuf procès (329)
Dans l’après midi, j’ai enfin eu le temps — tout se fait à l’envers, chez moi, ces temps-ci (ma semaine, je ne vous en parle même pas) — d’écouter l’Atelier littéraire de dimanche dernier sur Gustave Flaubert, Une manière spéciale de vivre de et avec Pierre-Marc de Biasi. On parlait pas mal de son chapitre sur le cheval, dont un cheval en l’air qui m’en rappelle un plus récent…
Causant canassons, déjà son dada en 2001, de Biasi met le doigt sur le court-circuit Dussardier des occurrences 4 et 25 ci-dessus, quand le beau mais naïf avènement du bonheur par la République proclamée devient son assassinat d’une méchante brièveté par Sénécal lors du coup-d’État — c’est d’ailleurs là, ce chapitre 5 de la 3e partie, la vraie fin du roman, la mort totale des illusions ; les deux chapitres suivants n’étant qu’une progressive et double défocalisation, où comment s’en sortir, seize ans plus tard — le temps qu’il a fallu pour digérer tout ça… Oui, une bien spéciale manière de vivre, Flaubert…
« La stalle de voyage du cheval était sommaire, mais bien équipée, qui comptait des réserves de fourrage et de paille, de l’eau, plusieurs bidons de cinq litres. Jean-Christophe de G. avait rempli une bassine au robinet d’un bidon, et, accroupi dans la stalle, il versa quelques gouttes de soluté physiologique dans l’eau de la bassine, à quoi il ajouta un soupçon de solution antiseptique, jusqu’à ce que le mélange, qu’il touillait délicatement du bout des doigts, atteignît une couleur de thé oolong très léger, avec quelques linéaments plus foncés, couleur réglisse, comme des veines ondoyantes, sinueuses, qui stagnaient entre deux eaux. Il se releva, précautionneusement, ballotté par les secousses de l’avion, et s’approcha du cheval en titubant, la bassine à la main, dans laquelle l’eau dansait en clapotant, débordant par vaguelettes dans la paille. Il tenait précieusement la bassine contre sa poitrine pour la protéger des soubresauts de l’avion et commença à nettoyer la blessure, frottant les chairs meurtries avec une compresse humide, détachant les impuretés collées autour de la plaie, gravillons, poussières et autres corps étrangers qui demeuraient incrustés dans les tissus lésés. Le cheval, les yeux absents, se laissait faire, paraissait insensible. Il recula simplement une fois, brutalement, témoignant qu’il pouvait toujours être dangereux.» (Jean-Philippe Toussaint, La Vérité sur Marie, p. 130-131)
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Publié dans le JLR
C’est étrange, avant de lire La Vérité sur Marie, je venais de finir Les grandes Blondes d’Echenoz qui lui aussi fait voyager un cheval par avion. C’est amusant ces coïncidences de lectures. En est-ce une en ce qui concerne l’écriture ? Inspiration ?
Et quelqu’un me parlait d’ailleurs des Grandes Blondes cette semaine même ! Oui, belles coïncidences…