Cinq Limousins et demi ?
Ce midi, excellent poisson grillé dans ce petit restaurant de Motoyama. N’étaient les arêtes, qui entravaient la conversation avec José-Marie et Sophie. Conversation qui, après avoir roulé à bonne allure sur divers sujets, tournoyait maintenant sur Facebook. Où Sophie et moi sommes, elle récemment avec sa démonstration de taeko, et où JM ne veut surtout pas être mais où il aimerait bien promouvoir sa petite entreprise. Facebook dans la conversation, c’est un peu comme la banlieue sud de Paris : beaucoup de rond-points (fine allusion à d’autres problèmes pédagogiques du moment…). On tourne, on tourne et on se demande quelle sortie prendre. Et trois cent mètres après, même ralentissement et même question, quand c’est pas l’accrochage…
En revanche, alors qu’il ignore que je suis à la moitié des Onze — cinq Limousins et demi ? —, JM m’offre un superbe Pierre Michon, d’Agnès Castiglione chez CulturesFrance Éditions. Le livre contient aussi un disque avec des entretiens d’À Voix nue de 2002 — que j’ai déjà, évidemment. Je peux même ajouter que ce sont les émissions du 25 au 29 novembre. J’ai aussi les Jeudis littéraires du 7 et Du Jour au lendemain du 28, tout ça avec Michon et rien que pour 2002.
Alors, mes Limousins… Je m’attendais à du dense, de toute façon. Mais pas à du tellement politique. Ça râpe dans l’oreille, ça colle aux bottes et ça déchire quelques pans d’histoire de l’humanité.
« […] ces entrepreneurs en terrassement et gros œuvre de maçonnerie qui, sans autre atout dans leur manche que des bataillons de Limousins dont le statut et le salaire à peu de choses près étaient ceux des nègres d’Amérique […] ces quelques hommes au grand appétit qui sortaient de leur manche des bataillons de Limousins et les jetaient sur la terre boueuse de Loire avec une poigne de fer […] » (Pierre Pichon, Les Onze, Paris : Verdier, 2009, p. 26)
« […] le canal avec tout le ciel reflété dedans ; et dessous, les fondations invisibles, c’est-à-dire deux générations de terrassiers et maçons limousins qui avaient eu une espèce de vie avant de tomber des échelles ou de s’embourber sans reste dans la Loire, des espèces de joies en forme de bonbonnes de quasi-vinaigre et de couteaux à cran d’arrêt, une espèce de femme qu’ils voyaient deux mois de l’année sur douze en Limousin, les deux mois d’hiver noir, dont sous l’habit noir informe ils n’avaient jamais vu le corps nu mais que seulement à l’aveugle dans des salles communes empestées où toute une famille dormait ils avaient discrètement en pleine nuit troussée, besognée et engrossée, et de cet exploit avaient tiré des espèces d’enfants destinés à être nègres d’Amérique dix mois sur douze (tout cela, Monsieur, notez-le, au temps de la douceur de vivre, à l’heure même où Tiepolo ou un autre au sommet d’un échafaudage, au sommet aussi de ce que naguère on appelait l’Homme, peignait les plus belles et légères choses que jamais on ait peintes — car on n’a rien sans rien, et Dieu est un chien).» (Id., p. 33-34)
« Cela existait d’autant plus que, parmi les anacréons timides de la province, il y avait le fils d’un Limousin qui avait miraculeusement bondi hors des dix mois de négritude sur douze. […] on peut raisonnablement penser qu’à chaque génération cela advenait dans la proportion d’un sur cent, sur mille ou dix mille — il arrivait qu’un Limousin bondît hors du rang, fût remarqué d’un cardinal-duc, de sa maîtresse ou de son cocher, à cause des qualités que le hasard distribue assez équitablement parmi les hommes, fussent-ils limousins, fût-on dans le terrible temps de la douceur de vivre, et que celui-ci tirât son épingle du jeu, c’est-à-dire ne remît pas les pieds en Limousin et se mît à vivre comme un homme — enfin, comme il pensait que doivent vivre les hommes.» (Id., p.35-36)
Déjà ça. À digérer. À méditer. Ça peut prendre des semaines, tellement ça répercute de choses. Me revient à l’esprit la cinglante réponse qu’en pleine émission littéraire (laquelle ?) Virginie Despentes avait faite à Sollers quand il parlait de la douceur de vivre au XVIIIe siècle : qu’en ce temps-là, elle aurait sûrement élevé les cochons, sous-entendant qu’il aurait été peu probable qu’elle et lui se rencontrassent comme ce jour-là sur ce plateau télévisé. Et alors, pas de réponse du tout chaud récipiendaire du premier prix de la BnF.
Tags : Castiglione Agnès, Despentes Virginie, Michon Pierre, Sollers Philippe
Publié dans le JLR
il y a aussi la blondeur vue par le limousin dans la boue, et ce qu’il retrouve une ou deux fois par an et que l’on appelle femme – j’allais dire que ce sont les limousins que je préfère dans le livre (sous forme des onze aussi) mais il y a tout le reste.
Dense dites-vous ?
Moi qui suis Limousine (dans certaines branches), j’en reste bouche bée. Je crois que je vais lire ce Onze…
Oui lisez, vous verrez, certaines branches limousines sont flexibles et solides à la fois…
Heureuse de voir que les branches étendues du JLR reprennent. Un entre tien sous skype de Berlol comme lecteur est-il envisageable?
Oui, Constance, on va programmer ça. Je t’écris.
Curieux, je ne peux pas lire Michon, jamais pu. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, d’essayer encore avec les Onze. Et son livre d’entretiens m’est plusieurs fois tombé des mains.
Et l’unanimité qui règne sur le sujet Michon me paraît suspecte.
Putain, ça remarche, si tu me passes l’expression.
Amicalement
Phil
Drôle d’expérience ces Onze. Au moins trois fois, je l’ai commencé, n’ai pas accroché jusqu’au moment où j’ai fait une autre tentative, la bonne. Et là, quand on commence, on ne s’arrête plus. Envoûtant, dense, superbe.
J’en parlais avec une amie, hier, qui aussi s’y était reprise à trois fois avant de le lire. Mêmes sensations.
Hey, have you seen this news article?
New details about Michael Jackson’s Death Emerge
I was wondering if you were going to blog about this…
Yes I must say, my dear Berlol, if you were going to blog about this, so to speak.
Yours, Phil
Justement, justement… Merci de la perche tendue !
(En même temps, je le laisse, hein, ça mange pas de pain et ça attire des gogos…)