Managatsuo doré au beurre demi-sel
Jour férié, anniversaire d’un ten-no (rendu fautivement en français par empereur, alors que ça devrait être quelque chose comme intermédiaire terre-ciel). On se pomponne de bon matin pour aller — empire Alain Ducasse — chez Beige, Ginza, à 10h45. Là, nous attend, ainsi que pour 6 autres personnes, une présentation détaillée d’un plat dans les cuisines, le managatsuo poêlé (poisson blanc de saison), par le chef Jérôme Lacressonnière.
Petit cours, très pédagogique, pour 8 personnes, presque une heure, suivi du déjeuner normal. Il s’agit d’une séance mensuelle à laquelle T. et moi nous sommes inscrits le mois dernier, un peu en cadeau pour l’anniversaire de T. (qui était au début du mois), et qui s’avère d’ailleurs bien plus économique que le déjeuner de mon anniversaire, fin décembre…
Menu : petite tasse apéritive contenant une soupe froide au chou-fleur et curry, noix de saint-jacques en salade printanière aux agrumes, LE managatsuo doré au beurre demi-sel + blanquette de légumes verts, veau de lait glacé dans son jus + morilles brunes et pommes nouvelles, millefeuille de pommes rôties + parfait glacé + sauce caramel, le tout servi avec pour chacun deux coupes de champagne (dont une en cuisine, à l’accueil du cours), un verre de blanc et un verre de rouge, café à volonté, macarons et petits chocolats.
Heureusement qu’en prévision on avait peu mangé depuis avant-hier ! De l’accueil aux chocolats, tout était délicieux et nous avons tout honoré.
La vue des cuisines, du travail de ruche qui s’y déroule bien avant l’heure du repas, la découverte des instruments, des fourneaux, des quantités, des ingrédients et de la manière de les traiter, tout concourt à anticiper l’excellence des plats qui seront dégustés. L’art culinaire, qui s’incorporait déjà autant par les yeux et le nez que par la bouche et l’estomac, peut aussi s’anticiper, se deviner, c’est-à-dire étendre son action dans le temps, grâce à ce genre de séance, dans l’avant et l’après, bien au-delà de la simple fonction nutritionnelle — on le savait, encore fallait-il le vivre.
J’ai appris aussi qu’il n’était ni interdit ni inconvenant de mélanger beurre et huile d’olive, surtout pour éviter le noircissement. Je le faisais sans le dire, presque honteusement, dans mon coin-cuisine. Je puis maintenant le revendiquer…
Promenade digestive dans Ginza, forcément. Retour et… sieste, forcément aussi.
Puis la vie reprend son cours, l’écran d’ordinateur sa place, même s’il y a peu de courrier. Et puis Twitter twitte, même pour presque rien. Je ne suis pas sûr d’apprécier que des gens qu’éventuellement j’estime se mettent à faire chambre d’écho de tous les micro-événements ministériels et sanitaires… Cependant, il ne faut rien négliger, c’est l’air du temps. Et le temps est mauvais. Particulièrement la sarkoze qui recouvre la France d’une épaisse couche de connerie, de pauvreté, de racisme…
Ainsi, à la fin d’un billet de Fabula sur le honteux comportement du président de l’université de Nice, je crois déceler une cerise sur le gâteau : « Ensuite, la brigade d’intervention de la police nationale procède à des contrôles d’identité et à une fouille sur le seul étudiant gréviste d’origine maghrébine.»
Mais non, pas cerise sur le gâteau ! En réalité, l’essence même du régime sarkozien, cette complémentarité, cette volonté totale, totalitaire, dans la dégradation de tous les statuts, de toutes les administrations, ce cancer dans tous les organes de la société, la concurrence, la haine, l’appât du gain, le chiffre, jusqu’à, quotidiennement, la décomplexion totale dans la visée du contrôlé, du tabassé, du menotté, du refoulé. Le but est que tout le monde soit contre tout le monde, tous concurrents les uns des autres, tous ennemis — un diviser pour mieux régner poussé au maximum de ce que les machines administratives et technocratiques peuvent produire. D’où la nécessité de faire vite, sur tous les fronts, une fast-politique aussi toxique que le fast-food, qui n’est pas sans rappeller, pour la vitesse et le raidissement, les décrets et lois qui passent en force, les année 30 en Allemagne : pour que tout le monde soit subjugué, désorganisé et dépossédé en même temps.
Tags : Ducasse Alain, Lacressonnière Jérôme
Publié dans le JLR
Ah c’est malin, vous m’avez mis l’eau à la bouche. Pour le beurre et l’huile d’olive, je les mêle depuis longtemps, sans cas de conscience, pour éviter le noircissement en effet ; je n’avais pas pensé que cela puisse être inconvenant, juste horriblement gras…
(Me relisant, je suis stupéfié par la profondeur de mon commentaire. Lol.)
j’en serais restée au managatsuo – quand à la cerise j’aurais eu pour elle un regard blasé et puis un sursaut contre cette accoutumance