La condescendance s’inviterait
Grasse matinée.
Après-midi au colloque Proust, qui finit plutôt bien : Francine Goujon sur le japonisme, Nathalie Mauriac Dyer sur Carpaccio et Kazuyoshi Yoshikawa sur Gozzoli, et chacun avec son Powerpoint, s’il vous plaît ! Ce qui fait qu’on voit de quoi on parle. Je ne me suis même pas endormi, tellement c’est intéressant. Comme hier. Ceci dit, l’échelle génétique et microscopique à laquelle travaillent beaucoup de ces spécialistes les constitue en une sorte de secte qui a peu de chance d’atteindre un large public — ce qu’ils ne souhaitent pas, je pense (sinon, ils auraient cherché les moyens d’avoir une traduction simultanée).
Je pars sans prendre le temps de saluer Compagnon ou Yoshikawa, qu’ils m’en excusent. En fait, ils s’entourent et se congratulent déjà bien les uns les autres, la quinzaine qu’ils sont, se donnent rendez-vous l’an prochain à Kyoto pour le colloque suivant, où presque les mêmes se retrouveront. Les propos forcément latéraux d’un non-proustien, même laudateurs, ne pourraient pas les intéresser. Ce serait même un peu inconvenant, la condescendance s’inviterait. Il faut savoir se retirer…
Et puis il fait encore beau dans les rues d’Ebisu, j’ai des courses à faire au Seijo Ishii de la gare d’Ebisu avant de rentrer.
D’ailleurs, je ne suis pas tout à fait sorti de l’univers post-exotique où Manuela Draeger, la Québecoise, m’a entraîné depuis hier… Ces derniers temps, Proust me passionne moins que Volodine, on l’aura compris. Et même moins que Grey’s Anatomy dont deux épisodes m’attendent à la maison. J’entends déjà les dents grincer. Un tel rapprochement ! Une honte ! Un scandale !
(Mais dites-vous que dans cent ans, il y aura des thèses et des colloques sur ces séries…)
La trame de Belle-Méduse repose sur la possibilité de transmettre des descriptions d’odeurs à une méduse géante qui bouche l’estuaire d’une ville. Cela donne de joyeuses tentatives dont j’extrais : « Une odeur de vieille mémé championne de tir à l’arc » (p. 27), « Une odeur de cousin de province sur le départ » (p. 41). Mais quelle ne fut pas ma surprise en arrivant à ce passage !
« J’ai essayé de me rappeler cette Sheewa Gayanlog qui avait été une camarade de classe. Ce qui me venait à l’esprit, c’était l’image d’une ourse blanche. Mais oui, bien sûr, je l’avais connue. Une grosse ourse blanche, avec une houppe de poils gris souris à la naissance de la poitrine. Pas toujours très aimable, très mauvaise en électricité et en travaux manuels, comme moi, et interrompant ses interlocuteurs pour leur raconter ses rêves comme si elle venait juste d’en sortir. Il m’a semblé me rappeler qu’un jour elle s’était disputée avec notre professeur de couture et qu’elle l’avait mangé, ce professeur, mais le souvenir était plutôt lointain et flou.» (Manuela Draeger, Belle-Méduse, Paris : L’École des loisirs, 2008, p. 32-33)
Les post-exoticiens auront déjà repéré que rêve et ourse blanche pouvaient venir de Des Anges mineurs (sans Sophie Gironde, sauf que ce serait son estuaire… voir mon étude de l’année dernière), tandis que manger son professeur serait un clin d’œil intertextuel aux premières pages de Jorian Murgrave, où le professeur n’est pas de couture mais de brègne, si ma mémoire est bonne.
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Publié dans le JLR
le post exotisme bien sûr, mais que j’aime votre façon de quitter le colloque
Les sociétés d’études qui ont un peu de bouteille, ici, ont toujours ce comportement clanique, les proustiens, les balzaciens, les pascaliens, pour ceux que je connais.
Ils sont ouverts et accueillants, mais jusqu’à un certain point seulement.
Ceci dit, quand j’étais allé à quelques séances de l’ITEM, rue d’Ulm, à la fin des années 80, c’était à peu près la même chose (sauf que j’étais plus jeune et que je pouvais mettre l’exclusion sur ce compte…).