Prenant des balles dans le dos
Merci, Cécile ! de m’avoir recommandé Ce soir ou Jamais de jeudi, avec ce complexe débat sur la notion à la fois économique, éthique et sociale de low cost. Au fond, c’est vrai que je suis resté ontologiquement attaché à la notion de valeur intrinsèque d’une marchandise. Pourquoi faudrait-il en changer alors que ce qu’on me propose d’autre me paraît proprement inhumain ? (Parce que purement mathématique.)
Déjeuner au Saint-Martin, avec les B., un couple d’amis et leur fille. C’est ici même que nous les avons vus et revus de nombreuses fois durant plusieurs années, nous saluant avec distance, comme nous le faisons toujours, avant que je sois un jour, par hasard, dans le même shinkansen que F. Nos relations, devenues cordiales, se limitaient depuis au partage de bribes de conversation d’une table à l’autre. Il y a quelques jours, les B. rencontrés par hasard dans la rue Kagurazaka, j’avais émis, plaisantant à demi, la proposition de déjeuner ensemble, ce qui, la surprise passée, avait été accepté. Pour aujourd’hui. C’est dire, des deux côtés, la réserve et les précautions. Car nous avons en commun (le savions déjà) la détestation des vaines mondanités, d’une part, et de l’attitude hautaine et méprisante des expats, d’autre part. Cependant, ayant une fille, ils se trouvent par force obligés de fréquenter les parents d’autres élèves du lycée franco-japonais de Tokyo, ce qui n’est pas horrible dans tous les cas. Mais tout de même…
Ici ou là, et même en France, certains lecteurs qui partagent ce destin me comprendront.
« Le caractère de l’ego est difficile à circonscrire.
C’est ce que j’ai fini par comprendre. Pré carré sans queue ni tête. Ruines circulaires. Épaisseur collante et qui ne cesse d’épaissir et de coller. Comédie pour soi et alentour. Grand falbala. C’est une question assez vaine, en somme. les contours se dessinent d’eux-mêmes.
On préférera un regard corrosif, celui qui distingue les couleurs, avec nuances. Je cours. Et le costume choisi est trop grand, trop lourd. Et j’ai un point de côté de courir ddans plus grand, plus lourd que moi. Piètre déchirement. Défaut sur la dépouille vivante. Les écailles se détachent, en instantanés de moi. Et moi je me dissous, sous les écailles qui se détachent.» (Laure Limongi, Le Travail de rivière, Chaumont : Éd. Dissonances / Pôle graphisme de la ville de Chaumont, 2008, [n. p.], p. [12])
« Sous les écailles » me fait souvenir d’une des réplicantes abattue par Deckard dans Blade Runner. La façon étonnamment mélancolique qu’a eue Ridley Scott de la faire mourir, au ralenti, prenant des balles dans le dos, traversant des vitrines.
Avons regardé Youth without Youth (L’Homme sans âge, F. F. Coppola, 2007, d’après Mircea Eliade). Je trouve ça à la fois bien et emmerdant. Bien dans le sens du spectacle, si on a deux heures à perdre en approfondissant pour soi les possibilités intellectuelles de la recherche d’une langue originelle, des suites para-normales d’un foudroiement, ou du rêve de Tchouang Tseu. Mais emmerdant dans le sens qu’un film qui essaie de mixer ensemble ces trop riches éléments conceptuels ne peut être qu’une informe — ou difforme — succession de séquences mal mises bout à bout, parce qu’il faut délayer sur une quarantaine d’années tout en raccourcissant à deux ou trois époques principales, accorder trop peu à des épisodes qui mériteraient à eux seuls un film entier (de l’hypermnésie à la science infuse, la transe au service de la science, etc.), voire déraper dans de l’ésotérisme de bazar. En bref, qui trop embrasse mal étreint.
Finalement, je ne sais pas comment j’ai fait, de clip en clip, je suis encore retombé sur Un soir, un chien des Rita Mitsouko en Inde. Je suis les volutes, les faiblesses de la voix, et je me dissous, moi aussi…
Tags : Coppola Francis Ford, Eliade Mircea, Limongi Laure, Rita Mitsouko, Scott Ridley, Tchouang Tseu
Publié dans le JLR
Ici, ce sera l’école locale, donc pas ce genre de soucis, mais d’autres peut-être…
Tu m’as appelé, Manu ?
Je te raconterai…
Tu es libre demain pour déjeuner ?
Je vois ton offre trop tard, mais pas de regret, car je n’étais pas disponible. Je l’étais lundi d’où mon coup de fil, un peu soudain, il est vrai !
Pas grave. je t’envoie un mail pour la semaine prochaine…