Un ectoplasme entièrement concentré
Ma fête de la francophonie, elle est plutôt ce matin en visionnant le Ce soir ou Jamais de mardi dernier, avec Maryse Condé, Dai Sijie, Tahar Ben Jelloun et Carlos Fuentes. Rien de nouveau ni d’exceptionnel dans leurs propos mais un véritable plaisir de les voir assemblés, d’écouter le dialogue affleurant des cultures, l’intelligence des échanges.
Un vent de tempête s’est levé.
Je pense aux fleurettes à peine nées des cerisiers,
comme elles doivent se geler le pistil
et s’en vouloir d’avoir éclot d’instinct.
T. fait un aller retour au temple et au cimetière pour remplacer des stèles de bois. On a appris que la petite école de bouddhisme dont sa famille faisait partie fêtait cette année ses 800 ans et le temple lui-même ses 500 ans. Voilà une convergence historique qu’on n’est pas près de revoir… (Et qu’importe ! ajouterais-je…)
Moi, je ne fais rien qu’une petite sortie pour quelques courses. Je rêve de sortir mon vélo ou d’aller au centre de sport, mais c’est tout à fait impossible, pas le temps. Durant ces semaines, je deviens un ectoplasme entièrement concentré sur des lectures et des écoutes, baignant dans la littérature et rattaché au monde dans ma langue par quelques fibres optiques qui délivrent indifféremment (pour elles) France Info, Ce soir ou Jamais, TV5 Monde, Deezer, Facebook, Youtube, Google et quelques courriels, dont très peu me sont adressés personnellement.
Lecture de Le Clézio pour le travail. Ça va mieux, l’estime du texte est remontée. Mais à cette vitesse, mon cours sera prêt dans trois mois — alors qu’il commence dans une dizaine de jours… Robbe-Grillet est momentanément sur la touche. Et puis un peu de japonais, et des lectures contemporaines, pour plaisir et connivence. Il en faut.
« Je me souviens de tout, mais tout est faux. Je ne parviens pas à me faire à l’idée d’avoir oublié tellement de moments pourtant vécus : pourquoi quelques uns seulement surnageraient et pourquoi m’appartiendraient-ils ? Je doute de moi, je doute de ce passé-là. Je sais qu’au fil des années, à tous ces souvenirs j’ai ajouté des rêves faits pendant mes nuits, et sans doute aussi des images aperçues ailleurs, en photographie, au cinéma, les paysages se mêlant. Il aurait fallu tout noter au fur et à mesure.
Seules certitudes : les dates et les lieux, le tout délimité par les documents administratifs, livrets scolaires, licences de club sportif, certificats de vaccination. Ceux d’un autre. Quelques photographies, celles d’un autre. Comment a-t-il pu devenir ce que je suis, lui que tout prédestinait à être un autre ? Il était prévisible, il allait devenir un individu utile à la société, un homme franc et apprécié, sûr de lui-même et comblé, confiant dans le futur et connaissant son but dans la vie. Mais quelque chose s’est passé, qu’il est impossible de saisir, il leur a échappé, il leur a glissé entre les doigts, comme le sable, comme l’eau qui ne demeure nulle part stagnante, s’agite, s’évapore ou se solidifie.» (Marc Pautrel, Je suis une surprise, p. 35-36)
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Publié dans le JLR