PRIER TUE
Glisser seul dans d’infinies étendues de poudreuse
réticulaire
j’hume le fond des nuées et m’élance
à portée de jumelles sur d’autres pentes solitaires
je suis les amis et leurs traces sur le vif
ils fendent dans le code et dans la langue
tandis qu’en bas les hordes suivent tout ce qui brille
emplissent d’ombre les vallées proprettes
Au cours de la nuit qui a suivi l’équinoxe, quelques branches du cerisier référent de Yasukuni se sont entendues pour fleurir avec un peu d’avance. D’où annonce nationale, photo à l’appui, dans l’édition de soirée de l’Asahi.
57 % des Français disent aujourd’hui avoir une mauvaise opinion du Pape actuel.
100 % de moi dit depuis toujours avoir une très mauvaise opinion du Pape, quel qu’il soit.
Je voudrais que la loi inscrive sur toutes les boîtes de Pape : PRIER TUE.
Après le déjeuner au Saint-Martin (brandade), je suis passé à l’Institut où la Fête de la Francophonie battait son plein. Mais en moi, cette année, la fête bat surtout son vide mercantile. J’en avais d’ailleurs oublié l’existence et la date malgré les programmes en effet reçus. Je ne fais que passer, donc, à la Médiathèque, emprunter des Le Clézio du début — les miens, annotés dans les années 80, sont sur une étagère chez ma grand-mère à Choisy-le-Roi…
Histoire de voir depuis quand son « je » unit hallucinatoirement passé et présent. Par exemple dans ce passage où, par ailleurs, je ne peux pas m’empêcher de voir cette année une communauté d’écriture avec celle d’Antoine Volodine (que j’ai également ressentie et écartée de mon esprit dans certaines pages du Chercheur d’or, comme si c’était quelque chose d’inconvenant, d’impossible, mais à quoi je commence cependant à m’habituer et que je souhaiterais comprendre — n’est-ce pas précisément la mission (et la vraie liberté) du chercheur…) :
« Elle était seule, pareille à un jouet mécanique, et se fondait vers la fin de la rue ; quelque chose d’indicible l’aspirait vers l’anéantissement. Les masses monolithiques des maisons l’entouraient, la conduisaient, traçaient pour elle la route dont on ne s’échappe pas. Toute déviation aurait arraché sa peau et sa chair, aurait tordu ses ongles, brisé ses os. Sur le pan gris des parois, un peu de sang de cheveux et de cervelle aurait marqué sa révolte. Fendant l’air sur son vélomoteur, la jeune fille avança vers la fin de sa route. Une pellicule humide voilait ses yeux. Ses lèvres entrouvertes avaient l’air de boire un breuvage invisible, et la plaque de verre du phare brillait. C’est ainsi qu’elle traversa tout, franchit les séries de ponts et de barrières, les couches de sons, d’odeurs, de fumée et de glace. Elle les franchit, à cheval sur la corde unique du bruit sciant, puis elle alla s’évanouir au fond de la rue. À la seconde même ou je, où nous vîmes cette espèce de porte qui s’ouvrait pour elle entre deux pâtés de maisons, la sirène cessa. Il n’y eut plus que le silence. Et rien, rien, pas même un souvenir vivant ne resta dans nos esprits. Depuis ce jour, tout a pourri. Je, François Besson, vois la mort partout.» (J.-M. G. Le Clézio, Le Déluge, Paris : Gallimard, 1966, coll. L’imaginaire, n° 309, p. 21)
K. est venue discuter un moment, tandis que je parcours les rayons. Elle lit La Vie devant soi, s’interroge sur la différence stylistique ou stratégique entre Ajar et Gary, se demande pourquoi il a eu le Goncourt. On en discute quelques minutes. Je lui propose une copie du film. Puis j’emprunte mes trois livres, retraverse les tablées de barbecues et de flons-flons pour retourner à la maison où l’enregistrement d’Éric Sadin chez Veinstein est terminé — un nouveau courriel de lui est d’ailleurs arrivé avec une copie pdf du Libération bloqué par les NMPP et dans lequel Frédérique Roussel chronique son livre et celui de Xavier Malbreil (Cf. ci-dessous, pour archives).
*
« L’ère du Net ambigu et du traçage continu », par Frédérique Roussel, in Libération du 21/03/2009
Michel Foucault a rappelé, dans Surveiller et Punir (1975), l’ingénieux dispositif imaginé par le philosophe anglais Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle. Le panopticon permet à un individu, dans une tour centrale, d’observer sans répit tous les prisonniers enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour. Le philosophe transcendait alors la fonctionnalité carcérale pour l’élargir à toute société disciplinaire. L’écrivain Philip K. Dick a imaginé, dans sa nouvelle Minority Report, située en 2054, que la justice pouvait arrêter les assassins avant leur passage à l’acte grâce à des extralucides capables de prédire les meurtres à venir. La surveillance doublée d’une prémonition du comportement humain…
Les deux idées traversent l’essai de l’artiste et écrivain Éric Sadin, organisateur d’un colloque sur ce thème en avril dernier au Palais de Tokyo, la Globale Paranoïa. À son sens, l’humanité fonce aujourd’hui vers ce point de convergence extrême : être vu dans l’espace et dans le temps — y compris virtuellement — et être anticipé, soupesé, envisagé comme un coupable ou un pigeon potentiel.
Maillage. La surveillance est immanente aux États soucieux de tenir leurs populations. « L’histoire de la surveillance remonte à des temps très lointains, elle apparaît indissociable des rapports de force qui peuvent s’établir entre nations, pouvoirs, individus », écrit Éric Sadin. Mais elle n’a jamais été aussi aiguisée, bénéficiant aujourd’hui de « la prolifération des technologies qui favorisent quantité de nouvelles applications, renforcent leur efficacité et rapidité, facilitent la mise en place de dispositifs de contrôle automatisés, et autorisent une sorte de maillage continu des corps et des objets ». Les techniques du présent sont des plus indolores et des plus raffinées qui soient. Elles permettent une interconnexion généralisée, dont Internet serait le nœud et l’échangeur. L’interconnexion est indissociable de la géolocalisation, qui permet de situer les individus où qu’ils soient grâce à une « couverture satellitaire globale ». « Le corps s’expose désormais comme une donnée, identifiée et traitée en continu sur des cartographies virtuelles, dont les pratiques ne restent plus repliées à la vie privée de chacun, mais produisent des séries de codes stockées sur des serveurs et gérées par des puissances de calcul toujours plus aptes à affiner et à exploiter la somme des informations recueillies.»
La vidéosurveillance participe au contrôle justifié, comme le reste, par les menaces terroristes. « On estime que chaque citoyen britannique serait filmé, selon différents « angles », à trois cents reprises quotidiennement.» Et cette visibilité permanente « contribue insidieusement à développer une forme d’intériorisation de formes permanentes de surveillance dans les consciences ». La biométrie, qui cherche à transformer des signes corporels (doigt, visage, iris…) en empreinte numérique, les nanotechnologies, les puces RFID introduites dans les objets quotidiens complètent la panoplie de traçabilité.
Mais la forme la plus sournoise de surveillance contemporaine se trouve, selon Sadin, dans la constitution de bases de données comportementales. La traçabilité des individus vise à pressentir le dessein des consciences, bien utile au marketing. Ainsi, paradoxalement, la liberté offerte par la technologie revient à s’enfermer soi-même dans le panoptique.
Avec Surveillance globale, Sadin mène une réflexion dense et solidement argumentée sur ces fers invisibles qui nous cernent bien plus diaboliquement que des barreaux. Ne faut-il pas s’interroger sur sa propre servitude volontaire ?
Cauchemar. Le même souci d’une posture critique vis-à-vis de l’existant guide le livre bien plus léger de Xavier Malbreil. Cet essayiste et auteur multimédia a réalisé une enquête de plus d’un an dans « les bas-fonds du Web », se promenant dans les coursives et les sites borgnes. Qu’en est-il des réseaux sociaux, des canulars, des sectes et des escrocs de grand chemin en ligne ? Sous les grandes idées, l’émulsion du moi, la profusion et la confusion entre la liberté d’expression et la marchandisation, les scénarios peuvent parfois toucher au cauchemar, rappelle Malbreil. Son propos n’est pas de faire la leçon mais de rappeler à renforts d’historiettes vraies le revers du réseau. Entre les grottes satanistes et les scams 419 (plus connus sous le nom d’escroquerie à la nigériane) qui descendent en ligne droite des filouteries de l’époque de Vidocq, il prône simplement de regarder le Web en face, tel qu’il est. « Si une chose doit changer, c’est notre regard sur le Net et sur son trafic d’information et de connaissance. Il est certainement temps de prendre enfin le réseau pour ce qu’il est, c’est-à-dire pour l’écosystème majeur de l’information de ce début de XXIe siècle.»
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Publié dans le JLR
Eric Sadin, c’est bien, mais Ulrich Sardouin, c’est encore mieux :
http://syndrometokyo.blogspot.com/2009/03/tokyo-dulrich-sardouin.html