Encore des deux-chevaux et des 404
Et c’est reparti… Écoute dans le shinkansen des Mardis littéraires de la semaine dernière, Philippe Vasset (Cf. les nombreuses références précédentes dans le JLR), Alban Lefranc et Georges-Arthur Goldschmidt. Pas trop mal. Le Vasset, je l’ai déjà, mais ça m’a donné envie de lire Peter Weiss. Et puis ça m’a fait très plaisir et je n’ai pas été étonné d’entendre Philippe Vasset donner avec précision des références robbe-grilletiennes.
Mais faudrait vraiment que Pascale Casanova apprenne à parler ; c’est fou ce qu’elle peut bafouiller, et en croyant dire des choses intelligentes. Pour les invités, ça doit être assez fatigant, j’imagine. D’ailleurs, pour les auditeurs, c’est assez pénible aussi.
Pour l’émission d’aujourd’hui, j’apprendrai plus tard, avant même de l’écouter, par un courrier, que Pascale Casanova ne savait même pas que L’Autofictif était mis à jour quotidiennement… C’est dire à quel point cette personne n’est plus du tout au top dans son propre domaine, la littérature, dans la mesure où celui-ci a été modifié par l’importance croissante des réseaux et qu’elle n’a pas suivi ou qu’elle a décidé d’ignorer ce changement radical, c’est-à-dire d’en mépriser les acteurs et les pratiques… Après l’avoir écoutée, j’ajouterai que c’est idem pour Jean-Baptiste Harang qui dit ignorer ce qu’est un blog et se demande s’il se mettra à l’ordinateur un jour… Et il se dit pas mal de conneries dans la vingtaine de minutes consacrée à Chevillard : l’impression de prétendus spécialistes de l’automobile qui chroniqueraient encore des deux-chevaux et des 404… Et sans aucune conscience de leur retard… Je citerai peut-être un autre jour.]
Au bureau pour finir de préparer les documents relatifs à mes dépenses de recherches de l’année. À préparer avec soin si je veux être remboursé. Joindre les factures et les relevés bancaires. C’est comme pour tout, maintenant : les abus de quelques-uns ont fait que tout le monde est astreint à ces procédures lourdes…
Il pleut, je ne vais pas déclarer mon changement d’adresse aujourd’hui.
Ai emprunté à l’Institut un coffret de deux films dits de yakusas. Le premier que je regarde, Okita le pourfendeur, yakuza moderne (Kinji Fukasaku, 1972), me déçoit un peu…
J’aimerais plutôt voir United Red Army, de Koji Wakamatsu… Mais faudra attendre un peu.
D’ailleurs ce soir, rien en ligne. Je m’entraîne à la vie sans connexion, pour voir comment c’est. Ou plutôt comment c’était, comment on vivait, ressentait le monde… Je me passe des disques. Et je range des cartons. Faut réfléchir. [D’où le retard de trois jours…]
*
« Journal intime d’un marchand de canons », de Philippe Vasset : en quête de réel, par Aurélie Djian, dans Le Monde des Livres du 26/02/2009
Les lecteurs d‘Un livre blanc (Fayard, 2007) connaissent la méfiance de Philippe Vasset à l’égard du roman : une forme molle comme la guimauve des sitcoms, une musique d’ascenseur qui suscite un désir réflexe « semblable à celui de la salivation activée par l’odeur des frites et du hamburger encore chaud ». En doutant des pouvoirs de résistance du roman face au monde tel qu’il est, Vasset rejoue le procédé de l’oeil neuf cher aux Lumières : déplacer les habitudes de lecture et d’écriture.
« Tous mes livres sont à la lettre écrits avec les pieds », disait récemment Vasset sur France Culture. Autrement dit, écrire en marchant, lier les phrases au paysage, en lieu et place de la fiction ex nihilo. Se mettre en mouvement, aller voir sur place l’envers du décor, les zones blanches dans la ville, les errants qui y circulent, noter précisément les petits détails saillants du réel.
Au commencement de Journal intime d’un marchand de canons, écrit Vasset, il y a « l’écart sans cesse grandissant entre les fictions dont on nous abreuve ad nauseam et un réel presque invisible, comme relégué à la périphérie du champ de vision ». On consomme de la fiction comme des corn-flakes, dit-il, il est temps de réveiller le récit avec des histoires bien réelles, celles par exemple des flux mondiaux, tels qu’ils s’éprouvent à hauteur d’homme. D’où un projet de série qui se poursuivra avec Journal intime d’un affameur, Journal intime d’un manipulateur, etc.
Au seuil du premier volume, l’auteur expose sa méthode et notamment son parti pris de véracité : « Chaque épisode se propose de décrire le fonctionnement d’un pan de l’économie mondialisée habituellement soustrait aux regards. Rien n’y sera inventé : les événements relatés (…) auront effectivement eu lieu, les noms seront les vrais, tout comme les dates. » Pour autant, et c’est là que ça se complique, il y a marqué « roman » sur la couverture : ceci n’est pas une enquête journalistique, nul souci d’exhaustivité, le narrateur n’existe pas, il a été inventé « pour ménager un point de vue interne dans un système mondial habituellement appréhendé de l’extérieur ».
C’est donc l’histoire vraisemblable, fabuleuse vue de loin, d’un agent de l’armement mondial, mais racontée, pour ainsi dire, au ras des pâquerettes. Aussi la première phrase du livre – « Je me suis toujours beaucoup préoccupé du degré de romanesque de ma vie » – fonctionne comme un leurre. « C’est un roman portes ouvertes, précise Philippe Vasset. J’ai voulu faire l’inverse d’un roman à clés. » Entendez : il n’y a aucun scoop, on se coltine humblement le réel (les faits, les situations). On articule dans la fiction le mythe du cow-boy – qui colle malgré tout au marchand de canons – avec l’extrême banalité de son quotidien : les mêmes intrigues prosaïques (à Bagdad, Delhi, Caracas, Riyad, Pretoria, Tbilissi ou Alger) renvoient aux mêmes enjeux politiques et économiques majeurs. Le basculement de perspective s’incarne par un jeu de contraste entre le narrateur, VRP figurant de l’armement qui passe l’essentiel de son temps à attendre dans des halls d’hôtels ou à s’ennuyer en réunion, et un personnage nommé « X » qui, lui, fera carrière de héros flamboyant et assumera un rôle actif dans l’Histoire de l’armement mondial.
Si Vasset persiste à écrire des romans, c’est précisément pour ça : « Ecrire des romans qui n’en sont pas, rendre compte sans afféterie des bouleversements du monde réel. » C’est là peut-être le territoire sensible du roman contemporain : être attentif à ce qui n’a pas toujours la belle figure qu’on voudrait, aller à la découverte de ce qu’on ne connaît pas. Tout sauf l’imagination minutieuse d’une cathédrale de papier, tout sauf la figure de l’auteur tout-puissant, bien à l’abri derrière son écran, une tasse de thé brûlant à la main, tout sauf des personnages légendaires.
Le narrateur, ex-marchand de canons revenu de tout, ne dit pas autre chose : « Pour me vider l’esprit, j’entreprends des tâches physiques épuisantes, j’abats des arbres, je fauche l’herbe, je draine les étangs… Mon jardinier me regarde faire, mi-amusé, mi-inquiet. Au bout d’une semaine, sans doute lassé de me voir endommager les allées et défigurer la forêt, il m’invite à chasser. Après toute une vie passée à vendre des systèmes d’armes sophistiqués, j’erre parmi les fougères avec, sous le bras, une pétoire vieille de vingt ans. Nous marchons toute la journée : je manque presque tout ce que je tire. »
Tags : Casanova Pascale, Chevillard Éric, Djian Aurélie, Fukasaku Kinji, Goldschmidt Georges-Arthur, Harang Jean-Baptiste, Lefranc Alban, Robbe-Grillet Alain, Vasset Philippe, Wakamatsu Koji, Weiss Peter
Publié dans le JLR
oh, cher Berlol, vous avez une dent contre madame Casanova, vous ! Et je crois savoir pourquoi.
Pourtant elle dit des belles choses sur Chevillard, citant notamment un passage sur les tableaux des musées de province… à écouter quand même.
et à moi qui ne l’ai pas lu, le nouveau livre de Vasset, écrit avec les pieds ou non (je trouve que ça fait très phrase pour journaliste, avec leur paresse il risque de la re-entendre à satiété) ce livre donc fait très envie
Pour Vasset, je crois que ça ne le dérangera pas. M’est avis qu’il ne cherche pas la gloire.
Suis justement en train de l’écouter dans le « Tout Arrive » du lundi 2 (par hasard, club des veilleurs de nuit…) :
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/toutarrive/fiche.php?diffusion_id=71341
Oui, Laurent, à écouter bien sûr. En ce qui me concerne, ce n’est plus une dent, c’est une mâchoire, et même deux, si possible…
Pour ceux qui seraient à Paris, il y a une avant-première exceptionnelle de UNITED RED ARMY en présence de Koji Wakamatsu jeudi 9 avril à 20h au cinéma Le Saint-André-des-Arts (30, rue St André des Arts, Paris 6). Et sinon, la sortie en salles officielle a lieu le 6 mai. N’hésitez pas à vous abonner au site ou à la page Facebook du film pour connaître tous les détails en temps et en heure.