Pas de mois de cadeau
Jour qui restera comme — pour l’échelle annuelle — celui de la fin des notes, avec le dépôt de ma dernière feuille, celle des rapports de 3e année, et — pour l’échelle humaine — celui de la signature d’un bail pour un appartement enfin situé près d’une station de métro. Une autre fois, je ferai le détail de mes lieux d’habitation. Ça va être mon septième, au Japon.
Levé tôt pour :
— continuer d’empaqueter encartonner emballer scotcher / et numéroter et noter dans un carnet
— descendre un meuble télé / d’un autre temps / l’époque des gros appareils / du fantasme du gros son à la maison
— garder quand même / je ne sais pas pourquoi / la plupart des fils câbles multiprises / dans une grande valise à la retraite
— étiqueter les encombrants avec les autocollants numérotés / qui à 250 ¥ qui à 500 ¥ c’est selon / avec des gants / dans le froid du local à vélo
— mettre au trottoir de grands sacs translucides verts emplis / de boîtes obsolètes emplies / de supports analogiques et numériques emplis / de mes vieilles données certaines effacées d’autres même pas / tous envolés à dix heures
Réunion et après, avant réunion suivante, brefs derniers moments avec David, autour d’un onigiri, avant son départ pour Orléans avec 31 étudiants demain matin. Il est moyennement content : responsable d’un groupe dans une France grise, froide et humide, pleine de contestations et de grèves, et un mouvement général prévu pour le 19 mars, jour du vol de retour… Sûr qu’ils vont en apprendre, des choses, les étudiants !
Pour mon contrat, tout était préparé : documents, sceaux, explications et… argent liquide (trois mois de loyer de dépôt, un mois de commission partagé devant moi entre les deux agents (celui qui gère l’annonce, côté propriétaire, celui qui gère le client appâté par l’apâto, moi), pas de mois de cadeau, et le mois à venir et une fraction de février. Tiens, j’ai oublié de demander par quelle procédure je paierai mon loyer, après… Je viendrai chercher les clés le 25.
Retour à Tokyo, en avançant Dans ma Maison sous terre… Lieu d’une tentative de malédiction, un texte à visée performative (tuer la grand-mère), se voulant parole magique, quelque part entre le sort jeté à la Belle au bois dormant et les incantations maldororiennes — mais dont l’auteur elle-même ne croirait pas à la magie, construirait argumentation et réfutation logique de la malédiction et de la magie, in fine une dialectique du désir de malédiction dont le but serait cathartique individuellement. Et littéraire.
« Je serais professeur de lettres, mais à la fac, mieux que ma mère. J’aurais appliqué la formule chère à ma famille maternelle qui veut que les enfants gravissent un échelon supérieur.
Je serais la fierté de tous. La grand-mère me le répéterait. Le jour je donnerais quelque cours, le soir je masquerais mon ennui, le week-end j’emplirais secrètement mes narines d’une cocaïne d’excellente qualité.
Je n’aurais pas le même patronyme, et encore moins le même prénom. J’ignore ce qui me serait attribué. je n’aurais pas à être sauvée, aussi j’enseignerais le mot littérature sans jamais l’avoir rencontrée.
Je ne serais pas écrivain, ni personnage de fiction, si ce n’est de la collective. je n’aurais pas croisé Igor à l’angle d’un groupe de discussion, je l’aurais encore moins épousé. Ma vie serait différente, si effroyablement.» (Chloé Delaume, Dans ma Maison sous terre, p. 90-91)
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Publié dans le JLR