L’enclume s’évapore
Haïku numéro 1 (solder 2008) :
L’appel attendu
Une fleur de prunier éclot
L’enclume s’évapore
Même régime qu’avant-hier, avec encore moins de temps pour déjeuner. D’ailleurs, je ne déjeune pas parce qu’il y a encore des coups de fil à donner (pour l’eau, le gaz, l’électricité). Pendant les surveillances, ça m’arrive de temps en temps, j’ai éprouvé de l’empathie pour tous ces jeunes gens qui tentent de bien commencer leur vie d’adulte, ou seulement de la commencer, sachant que l’avenir n’est pas rose. Ça m’est venu avec un garçon qui a demandé deux fois à aller aux toilettes, qui se tenait le ventre, que j’ai intérieurement soupçonné d’y aller pour tricher, regarder un dictionnaire ou une antisèche, mais qui était plus certainement stressé, et j’ai regretté de l’avoir soupçonné, on nous y pousse mais ça ne me plaît pas, me mettant à sa place, arrivant là, avec tout ce lourd protocole, ces adultes rivés aux horloges, aux contrôles d’identité, et tous ces jeunes du même âge que lui, qu’il n’est pas du tout certain de valoir ou de pouvoir battre pour avoir sa place, et ses parents derrière qui comptent sur lui, qui l’ont surentraîné depuis des années, bassiné pour cette semaine depuis des mois, qui ont tout payé, peut-être même qu’il sait combien ça leur coûte… D’autres sont plus sûrs d’eux mais sans le montrer, la classe. La plupart sont admirables de flegme et d’obéissance. C’est ça, l’empathie. Faut que je me ressaisisse.
Vers 18 heures, je m’enfuis littéralement du bureau pour aller au centre de sport. Pédaler, suer puis m’anéantir dix minutes dans la chaleur du bain.
« Elsa renaissait à vue d’œil. Elle avait été bafouée, elle allait lui montrer, à cette intrigante, ce qu’elle pouvait faire, elle, Elsa Mackenbourg. Et mon père l’aimait, elle l’avait toujours su. Elle-même n’avait pu oublier auprès de Juan la séduction de Raymond. Sans doute, elle ne lui parlait pas de foyer, mais elle, au moins, ne l’ennuyait pas, elle n’essayait pas…
« Elsa, dis-je, car je ne la supportais plus, vous allez voir Cyril de ma part et lui demander l’hospitalité. Il s’arrangera avec sa mère. Dites-lui que, demain matin, je viendrai le voir. Nous discuterons ensemble tous les trois.»
Sur le pas de la porte, j’ajoutai pour rire :
« C’est votre destin que vous défendez, Elsa.»
Elle acquiesça gravement comme si, des destins, elle n’en avait pas une quinzaine, autant que d’hommes qui l’entretiendraient. Je la regardai partir dans le soleil, de son pas dansant. Je donnai une semaine à mon père pour la désirer à nouveau.» (Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 81-82)
Enfin, je retrouve T. au téléphone, de bonnes nouvelles, un bon dîner. Parce que côté social et politique, c’est plutôt la sinistrose générale. Et du fun, quand même, à écouter les infos sur la France. À quand des médiateurs officieux pour faire accepter les médiateurs officiels ?
Le ministre gère le choix des fusibles…
Tags : Sagan Françoise
Publié dans le JLR
» Le ministre gère le choix des fusibles… « . Très juste.
Pour lutter contre tout ça, écrire et encore écrire des textes éclairants, électriques, non ampoulés (entre autres) – votre spécialité !