Préparer contrats, dates et sommes
Jour très attendu, chaque année, de la grande messe dite des concours d’entrée, quand, tous les enseignants assemblés dans le grand amphi, sont distribuées les enveloppes dans lesquelles figurent, pour chacun, les jours d’astreinte. Impossible de savoir avant cet instant si l’on serait bloqué le samedi ou le dimanche, ou les deux, comme ce fut le cas l’an dernier ou avant, m’obligeant à annuler au dernier moment un cours sur Rimbaud. Mais cette année, mon sort est chanceux et aucun week-end ne sera bloqué.
Avec David, déjeuner au Downey où la formule a changé — et augmenté. Mais l’hamburger est toujours fait maison et bon. Nous discutons du voyage à Orléans, des préparatifs où il en est.
Il m’aide ensuite, de retour au bureau, pour téléphoner au service municipal d’enlèvement de mes encombrants (soudaigomi) : réserver la date de ramassage et prévoir le nombre de tickets à acheter.
Comme il est question de mon déménagement, je m’aperçois que j’ai complètement zappé le déjeuner d’hier, pourtant original et fort agréable. En effet, David, notre chef et moi sommes allés déjeuner avec le directeur de l’Alliance locale. Il a été question de collaboration culturelle et pédagogique entre nos établissements, plusieurs projets ont été évoqués pendant que pâtes et risotto étaient engloutis.
Un appel téléphonique à l’agent immobilier avait soudain accéléré mon dossier : mon probable futur propriétaire acceptait de percer le béton, à ses frais, et l’on pouvait commencer à préparer contrats, dates et sommes.
En train rapide fin de Traques…
Rien à dire pour Vincent et Élisabeth, ils s’étiolent et disparaissent selon leur souhait. Mais pour Jeanne et Anatole, oui, j’ose croire, Frédérique, après tout ce partage de paroles dont tu nous as fait témoin, qu’ils ont de l’avenir, et pourquoi pas — c’est mon optimisme incorrigible — un avenir ensemble.
« Nous avons alors décidé de partir au plus vite. Les femmes prépareraient nos bagages, les hommes se rendraient à la carrière où ils demanderaient au patron qu’il leur règle leur argent du mois puis en ville, à la banque, pour retirer ce que nous avions réussi à mettre de côté pendant ces années c’est-à-dire peu de choses, une liasse de billets glissée dans la poche intérieure d’une veste. Mais cet argent et nos économies suffiraient, pensions-nous, à payer notre fuite, le passage de la frontière, les papiers, la rallonge que les passeurs nous demanderaient sans doute au dernier moment, nous savions qu’ils étaient devenus gourmands, que nous étions nombreux désormais à vouloir partir mais, pensions-nous, il nous resterait encore assez d’argent pour vivre quelques temps dans notre nouveau pays, assez pour nous permettre de trouver un logement, un travail.
Sur le chemin du retour, nos dernières heures passées à la carrière, nos économies en poche, c’est Franz qui, marchant loin devant comme à son habitude, a vu le premier les colonnes de fumée noires monter du ciel. Nous avons dépassé les cultures saccagées, les animaux égorgés, les volailles, les chèvres, les moutons que nous venions d’acheter, il ne restait plus rien. C’est aussi Franz qui a découvert les corps de Sofia et de Petit garçon, étendus l’un à côté de l’autre devant notre maison, portes et fenêtres grandes ouvertes, vitres brisées.» (Frédérique Clémençon, Traques, p. 120-121)
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Publié dans le JLR
Oui, Berlol, leurs voix doivent être lues comme des voix joyeuses, malgré l’horreur, la tragédie, conscientes du pouvoir délicieux d’une parole tendue par la certitude d’un avenir possible. Le livre se termine sur cet espoir, celui de leur intégrité retrouvée, et de la prolongation, dans le secret des pages blanches, de la rencontre qui vient d’avoir lieu.
Mais je conçois qu’on puisse en faire une lecture plus sombre.
Je suis content de t’avoir bien lue et j’espère que ça contribuera au succès de « Traques » !