Phrase superbement clitoridienne
On écoutera ici le cours de ce matin (28 Mo). Je pense avoir trouvé le bon ton, et même le bouton — de mon enregistreur. Tout a été préparé mais rien n’est écrit à l’avance. (Faut-il le dire ?) Instantané extrait, après 66 minutes, avec l’explication de cette phrase superbement clitoridienne, dont la pointe est gonflée au déictique, suivie d’une autre, dans laquelle les points-virgules permettent de surfer sur la vague orgasmique :
« Cette caresse qu’elle n’acceptait jamais sans se débattre et sans être comblée de honte, et à laquelle elle se dérobait aussi vite qu’elle pouvait, si vite qu’elle avait à peine le temps d’en être atteinte, et qui lui semblait sacrilège, parce qu’il lui semblait sacrilège que son amant fût à ses genoux, alors qu’elle devait être aux siens, elle sentit soudain qu’elle n’y échapperait pas, et se vit perdue. Car elle gémit quand les lèvres étrangères, qui appuyaient sur le renflement de chair d’où part la corolle intérieure, l’enflammèrent brusquement, le quittèrent pour laisser la pointe chaude de la langue l’enflammer davantage ; elle gémit plus fort quand les lèvres la reprirent ; elle sentit durcir et se dresser la pointe cachée, qu’entre les dents et les lèvres une longue morsure aspirait et ne lâchait plus, une longue et douce morsure, sous laquelle elle haletait ; le pied lui manqua, elle se retrouva étendue sur le dos, la bouche de René sur sa bouche ; ses deux mains lui plaquaient les épaules sur le lit, cependant que deux autres mains sous ses jarrets lui ouvraient et lui relevaient les jambes.» (Pauline Réage, Histoire d’O, p. 50-51)
Hier soir, je lisais ce qui suit, et qui ne me plaît guère : évoquer la vie dissolue est inutile dans le propos, associer érotisme et copulation est scientifiquement passé de mode (il vaudrait mieux parler d’excitation sexuelle, et je ne me résous pas à identifier l’érotisme à l’excitation sexuelle), et dissoudre la partie féminine parce qu’elle serait passive est une vision carrément machiste. Mais bon, faut historiciser pour accepter… (J’attends au moins une réaction courroucée de Vinteix.)
« Toute la mise en œuvre de l’érotisme a pour fin d’atteindre l’être au plus intime, au point où le cœur manque. Le passage de l’état normal à celui de désir érotique suppose en nous la dissolution relative de l’être constitué dans l’ordre discontinu. Ce terme de dissolution répond à l’expression familière de vie dissolue, liée à l’activité érotique. Dans le mouvement de dissolution des êtres, le partenaire masculin a en principe un rôle actif, la partie féminine est passive. C’est essentiellement la partie passive, féminine, qui est dissoute en tant qu’être constitué. Mais pour un partenaire masculin la dissolution de la partie passive n’a qu’un sens : elle prépare une fusion où se mêlent deux êtres à la fin parvenant ensemble au même point de dissolution. Toute la mise en œuvre érotique a pour principe une destruction de la structure de l’être fermé qu’est à l’état normal un partenaire du jeu.» (Georges Bataille, L’Érotisme, p. 23)
Déjeuner au Saint-Martin, où T. et moi retrouvons avec plaisir Laurent et Bill, qui n’ont pas prévenu et nous attendaient patiemment. Il est beaucoup question du niveau désolant de nos étudiants, de leurs piètres excuses pour leurs mauvais travaux, de notre propre dévaluation (bien dans le ton de la destruction culturelle, alors que je ne lirai Pierre Jourde que quelques heures plus tard…).
Pour nous consoler, passons ensuite chez K. Vincent, au bout de la rue, pour notre seconde galette des rois, très différente, comme nous le verrons ce soir, de celle de Pierre Hermé, mais elle aussi excellente dans son genre.
Plus tard, enregistrement de la Chute de Fukuyama, de Camille de Toledo et Grégoire Hetzel, Atelier de création radiophonique de dimanche dernier, puis du Procès Bovary, de Sylvie Péju, feuilleton de France Culture de cette semaine. Les deux premiers épisodes.
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Publié dans le JLR
Non, non, pas du tout courroucée ma réaction, au contraire même ! Car, à vrai dire, pour moi, « L’Erotisme » fait partie des deux ou trois textes moins réussis ou même mineurs de Bataille (un autre, même s’il garde ses qualités d’écriture et de rêverie « métaphysique » et esthétique, étant pour moi celui sur Lascaux), pêchant surtout par excès de systématisation… (je crois d’ailleurs me souvenir que ce livre a été écrit dans une volonté peu ou prou « pédogique »)quant au propos saupoudré de « machisme », à replacer historiquement évidemment, comme tu le précises.
Néanmoins, dans ce passage, comme dans d’autres, ce que dit Bataille, entre autres choses, de l’ouverture (être ouvert / être fermé), de la mise en jeu, mise en mouvement que constitue l’érotisme en général me semble tout à fait juste… et rejoint assez Sade.
Je n’en dirais pas autant évidemment de sa manière d’envisager les genres sexuels ni de sa relation profonde érotisme-mort.
Tu avais déjà cité cet extrait (le 29 décembre).
Trop fort, Manu ! Mais je le savais… Oui, déjà citée, mais pas avec les commentaires que la préparation du cours a suscités. On y voit quand même l’esprit de suite, la cohérence.
Merci, Vinteix, pour ces propos. Je connais trop peu Bataille pour être au fait de la hiérarchie des œuvres. Je lis un peu en discontinu et je relève quelques phrases. Le début de ce que je cite me plaît bien, ce « point où le cœur manque ». Mais c’est une expression métaphorique qui ne « définit » rien. Je comprends toutefois qu’il puisse y avoir ce que j’appellerai des « images d’approche » de l’indicible…
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