Tous les postiches proposés ici
Beaucoup de monde, en cette fin de matinée, au centre de sport. Et même l’ami culturiste avec lequel on déjeunera après. Mais peu de jolies filles, me dis-je, émoustillé par mes actuelles lectures… Pour l’heure, je m’astreint à mes 3600 révolutions de pédalier (2/s.×30 min.) en replongeant dans des fantasmes douteux. Douteux parce qu’ils ne sont pas sains, c’est le cas de le dire ; douteux aussi parce qu’ils mettent en doute, du fait de leur construction, leur possibilité d’existence réelle, leur vraisemblance en tant que fantasmes — attitude saine par rapport à celle qui considère le fantasme comme une sorte d’intouchable mystérieux, sacré, quasi-religieux, y compris en littérature.
« Les perruques — des deux sexes, mais surtout pour dames — sont placées à la partie supérieure de la vitrine ; au milieu, une longue chevelure blonde retombe en boucles soyeuses jusque sur le front d’un des présidents. Enfin, tout en bas, accouplés par paire sur une bande de velours noir posée à plat, des faux seins de jeunes femmes (de toutes les tailles, galbes et coloris, avec des aréoles et mamelons variés) sont offerts pour — à ce qu’il semble — au moins deux utilisations. En effet, un petit tableau latéral en expose le mode de fixation sur la poitrine (avec une variante pour les torses masculins), ainsi que la manière d’en faire passer inaperçu le pourtour, car seul ce point délicat peut trahir l’artifice, tant par ailleurs l’imitation de la matière charnelle comme du grain de la peau est parfaite. Et d’autre part, pourtant, l’un de ces objets — qui appartient également à une paire, dont le deuxième sein est intact — a été criblé de multiples aiguilles de diverses grosseurs, pour montrer que l’on peut s’en servir aussi comme pelote à épingles. Tous les postiches proposés ici ont une telle vraisemblance que l’on s’étonne de ne pas voir perler, à la surface nacrée de ce dernier, de fines gouttes de rubis.
Les mains, elles, se promènent éparses à travers toute la devanture. Quelques-unes sont posées, de manière à former des éléments d’anecdote en liaison avec un autre article : une main de femme sur la bouche du vieil « artiste d’avant-garde », deux mains entrouvrant une masse de cheveux roux, une main d’homme très noire déformant un sein rose pâle, deux mains puissantes crispées autour du cou de la « starlette de cinéma ». Mais les plus nombreuses volent un peu partout dans les airs, agiles et diaphanes. Il me semble même qu’il y en a beaucoup plus, ce soir, que les autres jours. Elles se déplacent avec grâce, suspendues à des fils invisibles ; elles ouvrent les doigts, se renversent, se tournent, se referment. On dirait vraiment que ce sont des mains de jolies femmes fraîchement coupées. Plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs du sang qui s’écoule encore du poignet, tranché net sur le billot d’un coup de hache bien aiguisée.
Et les têtes décapitées, elles aussi — je ne l’avais pas remarqué tout d’abord — saignent abondamment, celles des présidents assassinés, mais toutes les autres encore plus : celle de l’avocat, celle du psychanalyste, celle du vendeur de voitures, celle de Johnson, celle de la barmaid, celle de Ben Saïd, celle du trompettiste qui joue cette semaine au « Vieux Joe » et celle de l’infirmière sophistiquée qui reçoit les clients du docteur Morgan, dans les couloirs de correspondance de la station du chemin de fer métropolitain, par lequel je rentre ensuite jusque chez moi.» (Alain Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New York, p. 53-55)
Aux machines, entretien musculaire, histoire de garder un corps articulé, moi. Puis aux bains, détente humide et tiède. Avec T. et cet ami, déjeuner au restaurant chinois Panda. Il faut ensuite que je fasse un saut au magasin d’électro-ménager voisin pour une bombe de lubrifiant nettoyant pour rasoir électrique, le mien m’ayant bien abimé le cou ce matin. Enfin, tout aussi rapidement, des gâteaux chez Quatre, dans Foodshow, où la foule commence à être dense, pour notre heure du thé, et la tranquillité du logis retrouvé…
Enregistrements du jour : Fantasio, d’Alfred de Musset, à la Comédie-Française, et La Vraie Fiancée d’Olivier Py, d’après les Grimm. Profitons du vrai théâtre ! Parce qu’ailleurs, sur les théâtres du monde, c’est insupportable. SDF morts de froid, chômage à la pelle, Zimbabwe, Gaza, etc., une fin d’année très pénible et qui augure très mal de la suivante.
Tags : Musset Alfred de, Py Olivier, Robbe-Grillet Alain
Publié dans le JLR
Ce n’est effectivement malheureusement pas une transition calendaire qui va changer le cours des événements. Bonne année à tous quand même !