Renouveler le stock d’huile d’olive

lundi 29 décembre 2008, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

À peine levé, sortir chercher du pain. Ce geste si naturel quand je suis en France, si ancré dans l’histoire de mes premières décennies doit bien faire un peu partie de l’identité nationale — cette expression qui ne veut rien dire. Chez ma grand-mère, à Choisy-le-Roi, la boulangerie était au pied de l’immeuble. Plus loin encore dans le passé, à Garges-lès-Gonesse, j’en voyais la queue de ma fenêtre le dimanche matin, ce qui me permettait de prévoir combien de temps il faudrait attendre. Dans la plupart des campings, en vacances, il y avait un dépôt de pain. Où que je me souvienne avoir dormi, je peux dire la direction et la distance de la première boulangerie. Jusqu’en Corse, où nous n’avons pas hésité à faire plusieurs kilomètres à pied… Mais au Japon, il avait fallu y renoncer. Depuis 1992, j’y ai toujours trouvé du pain, bien sûr. Mais pas le matin, pas du pain frais — c’est-à-dire encore chaud — pour le petit déjeuner. Il fallait attendre onze heures l’ouverture des magasins. Ou acheter des horreurs de pain de mie carré dont même un Anglais ne voudrait pas. C’était donc presque toujours du pain de la veille, ou de l’avant-veille, que j’avais le matin. Je ne m’en plains pas. Mais depuis l’ouverture de la boulangerie Kayser de Kagurazaka, j’ai enfin pu retrouver cette corvée qui est en même temps un plaisir.

Enfin, un peu de temps pour lire, tranquillement…

« L’inconnu s’était assis sur le rebord du lit, il avait saisi et lentement ouvert, en tirant sur la toison, les lèvres qui protégeaient le creux du ventre. René la poussa en avant, pour qu’elle fût mieux à portée, quand il comprit ce qu’on désirait d’elle, et son bras droit glissa autour de sa taille, ce qui lui donnait plus de prise. Cette caresse qu’elle n’acceptait jamais sans se débattre et sans être comblée de honte, et à laquelle elle se dérobait aussi vite qu’elle pouvait, si vite qu’elle avait à peine le temps d’en être atteinte, et qui lui semblait sacrilège, parce qu’il lui semblait sacrilège que son amant fût à ses genoux, alors qu’elle devait être aux siens, elle sentit soudain qu’elle n’y échapperait pas, et se vit perdue. Car elle gémit quand les lèvres étrangères, qui appuyaient sur le renflement de chair d’où part la corolle intérieure, l’enflammèrent brusquement, le quittèrent pour laisser la pointe chaude de la langue l’enflammer davantage ; elle gémit plus fort quand les lèvres la reprirent ; elle sentit durcir et se dresser la pointe cachée, qu’entre les dents et les lèvres une longue morsure aspirait et ne lâchait plus, une longue et douce morsure, sous laquelle elle haletait ; le pied lui manqua, elle se retrouva étendue sur le dos, la bouche de René sur sa bouche ; ses deux mains lui plaquaient les épaules sur le lit, cependant que deux autres mains sous ses jarrets lui ouvraient et lui relevaient les jambes. Ses mains à elle, qui étaient sous ses reins (car au moment où René l’avait poussée vers l’inconnu, il lui avait lié les poignets en joignant les anneaux des bracelets), ses mains furent effleurées par le sexe de l’homme qui se caressait au sillon de ses reins, remontait et alla frapper au fond de la gaine de son ventre. Au premier coup elle cria, comme sous le fouet, puis à chaque coup, et son amant lui mordit la bouche. L’homme la quitta d’un brusque arrachement, rejetté à terre comme par une foudre, et lui aussi cria. René défit les mains d’O, la remonta, la coucha sous la couverture. L’homme se relevait, il alla avec lui vers la porte. Dans un éclair, O. se vit délivrée, anéantie, maudite. Elle avait gémi sous les lèvres de l’étranger comme jamais son amant ne l’avait fait gémir, crié sous le choc du membre de l’étranger comme jamais son amant ne l’avait fait crier. Elle était profanée et coupable. S’il la quittait, ce serait juste. Mais non, la porte se refermait, il restait avec elle, revenait, se couchait le long d’elle, sous la couverture, se glissait dans son ventre humide et brûlant, et la tenant embrassée, lui disait : « Je t’aime. Quand je t’aurai donnée aussi aux valets, je viendrai une nuit te faire fouetter jusqu’au sang.» Le soleil avait percé la brume et inondait la chambre. Mais seule la sonnerie de midi les réveilla.» (Pauline Réage, Histoire d’O, p. 51-52)

Tranquillement, disais-je, — mine de liens — en éloignant et en historicisant notre point de vue, nos partis pris d’aujourd’hui from this book (extraits en japonais)… Pensons que c’est de 1954, partiellement écrit dès 1951. Quelques années après la guerre, l’épuration, les rationnements, le droit de vote aux femmes. Avant les combats féministes. Avant la liberté sexuelle…
Du sexe, du sexe, oui, je sais, on en avait déjà écrit et lu. Surtout du point de vue masculin, surtout sous le manteau, et tirant plus souvent vers la soldatesque que vers la philosophie.
Mais le point de vue féminin, le fantasme féminin, l’aveu de la dépendance, de la soumission, de la jouissance dans la honte ? Et tout cela qui devient célèbre, accessible au public ?… Et ce point-virgule que la phrase titille et qui nous tient en haleine ?…

Bon, revenons au XXIe siècle, même si ce n’est pas bien drôle.
Rapide aller-retour à la boutique de bagages bradés moitié prix… Nous avons eu la faiblesse de penser que ces valises solides seraient peut-être nos dernières. Occasion, en passant, de renouveler le stock d’huile d’olive.
Sur TV5 Monde, ce soir, Versailles, le rêve d’un roi (Thierry Binisti, 2007). Bon panorama sur la construction et la relation au pouvoir. Très hagiographique, tout de même… Ou très peu critique, ce qui revient au même.

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5 réponses à “Renouveler le stock d’huile d’olive”

  1. vinteix dit :

    « tirant plus souvent vers la soldatesque que vers la philosophie. »
    Pas si sûr… En tout cas, sûrement pas chez Sade, qui introduit précisément « la philosophie dans le boudoir », pour ne citer que ce cas tout de même majeur… Sade, chez qui le point de vue féminin est bien présent, au point qu’il a fait de Juliette le personnage central de sa pensée, incarnation féminine de la liberté, dont une femme, Annie Le Brun, à mes yeux la plus pertinente exégète de l’oeuvre sadienne, a par ailleurs montré toute l’importance…

  2. Belle démonstration culinaire…

  3. Berlol dit :

    Je n’étais pas sans le savoir, cher Vinteix, et je partage ton opinion sur Annie Le Brun, mais Sade n’a jamais été grand public, que je sache…
    Bonne fin d’année à toi !

  4. vinteix dit :

    Je me doutais bien que tu savais, cher Berlol, mais cela n’empêche pas de le rappeler pour nuancer ta « soldatesque »… car « grand public » ou pas, Sade est quand même « un monument » dans cette littérature dite érotique, qui, par ailleurs, n’a presque jamais été « grand public » (est-ce d’ailleurs important ? Sade, comme la plupart de ces livres, n’est sans doute pas à mettre entre toutes les mains). Certes, « Histoire d’O » est un livre un peu à part… quoique… au début, il fut relativement confidentiel : au bout d’un an, Pauvert signale qu’il n’en avait vendu que 2000 exemplaires (cf. son « Anthologie historique des lectures érotiques »). Le livre, s’il ne se vendait pas « sous le manteau », était encore largement tenu pour « tabou » dans les années 60… et c’est surtout le film (au passage, assez mauvais), en 1975, qui attira l’attention du grand public.

    Meilleurs voeux au tournant de l’année. « Meuh ! »

  5. Berlol dit :

    En effet, je n’ai pas revu le film depuis… longtemps, et je me souviens que je l’avais trouvé TRÈS mauvais. Heureusement, en lisant le livre, aucune image de ce film ne vient parasiter mon travail.