Le mot de Jason
CHRONIQUE MULTIMEDIA, N°5
Chers amis de la rédaction des VOIX,
Je suis en voyage (comme d'habitude) et mon
courrier vous arrivera sans doute en retard. J'ai remarqué
d'ailleurs que mes amis japonais employaient souvent cette expression (être
en retard) sans la préposition. Je leur recommande maintenant,
ce que je fais moi-même, de déterminer l'emploi des expression
en les recherchant dans les documents web, avec Alta Vista par exemple
(http://altavista.digital.com/). Ainsi on trouve qu'en retard est
employé plus de 1200 fois, tandis qu'être en avance
arrive à la moitié de ce chiffre ; j'en déduis
que les gens sont plus souvent en retard...
La
première réponse d'Alta Vista concerne Olivier de Kersauzon,
en retard sur l'un de ses concurrents, en janvier dernier, dans le Trophée
Jules Verne qui consiste en un tour du monde à la voile en équipage
sans escale et sans assistance.
Sur le même site Nautiweb (http://www.nautiweb.com/consult1.htm),
on trouve aussi un dictionnaire de 1500 termes marins et quelques belles
images de bateaux, dont cette bisquine, qui était un bateau de pêche
typique de la baie du Mont Saint-Michel (http://www.enst-bretagne.fr:3000/preparation/bateaux/granville/granvi.html).
La
seconde réponse d'Alta Vista est encore plus étonnante puisqu'elle
nous fait entrer dans la correspondance d'un écrivain méconnu
- parce que trop connu pour avoir donné au monde un certain Ubu.
En effet, le 4 décembre 1896, il y a un peu plus de cent ans, Alfred
Jarry écrivait à son ami Aurélien-Marie Lugné-Poe
pour s'excuser d'avoir été en retard et de n'être pas
présentable. (http://www.gatzke.org/cjlpo18.htm) Mais où
avait-il passé la nuit ? C'est ce qu'il ne dit pas. Sacré
Jarry ! Un certain professeur Harmut Gatzke met ainsi sur le web l'ensemble
des écrits de Jarry et bien d'autres choses encore, qui ont un siècle,
un peu plus ou un peu moins... On trouvera encore la lettre de la même
année dans laquelle Mallarmé écrit d'Ubu à
Jarry qu'il "entre dans le répertoire de haut goût et
me hante" (http://www.gatzke.org/cjsma01.htm). Quelque admiration
que l'on ait pour Mallarmé, il n'est pas recommandé d'essayer
de s'exprimer comme lui... L'expression "haut goût" n'a
que 8 occurrences dans le web, malgré un emploi célèbre
de Balzac : "Allons-nous nous laisser embêter par
des brigands ? Le verbe par lequel nous remplaçons ici l'expression
dont se servit le brave commandant, n'en est qu'un faible équivalent ;
mais les vétérans sauront y substituer le véritable,
qui certes est d'un plus haut goût soldatesque."
(Les Chouans, http://www.alexandrie.com/alex2/pagealex/litterat/roman/balzac/chouans/chap1_2.html)
À dire vrai, l'expression en retard n'est pas ancienne. Le mot retard n'existait pas dans le premier Dictionnaire de l'Académie française (1694), on employait alors le mot retardement. Mais il est présent dans la 5e édition (1798), éditée en pleine Révolution, il y a presque deux siècles. Je crois que lecteurs français et japonais sauront mettre à profit ces deux magnifiques éditions web du Dictionnaire (http://humanities.uchicago.edu/ARTFL/projects/academie/). Avec la préposition en, je trouve un premier emploi dans Frantext en 1775 sous la plume de Julie de Lespinasse : "Sa maladie et les derniers troubles doivent l'avoir mis fort en retard" (Lettres à Condorcet, 1775). Pour les amateurs, je rappelle que Frantext est une banque de plus de 3000 textes complets du XVe au XXe siècles, accessible sur abonnement, et disponible sur le web depuis plus de six mois (http://www.ciril.fr/INALF/inalf.presentation/24a.htm).
Mes voyages de l'été m'ont aussi permis de comprendre un mystère de la peinture. Ayant récemment travaillé avec un tableau de Georges de La Tour, à l'Institut franco-japonais de Tokyo (http://www.iac.co.jp/~netifjt/fcontinue/delatour.htm), j'ai découvert que ce peintre, né il y a quatre siècles, avait été reconnu avec beaucoup de retardement et que son oeuvre était plus étendue que je ne l'imaginais. Un beau site, pédagogique et finement illustré, raconte cette renaissance d'une identité (http://sgwww.epfl.ch/BERGER/LaTour/). Pour vous je ne sais pas, mais moi je suis un peu fatigué de ces musées sur le web où des dizaines d'images se succèdent, sans commentaires, sans appréciations. Je ne sais pas tout et je n'ai pas honte de le dire : j'ai besoin d'explications, les sites ont besoin d'intelligence. Il ne suffit pas de déballer toute la culture du monde en vrac, encore faut-il que l'on n'y regarde pas comme dans une brocante, ou pire : une poubelle. Le célèbre préfet de Paris a d'ailleurs donné son nom à un site Poubelle.net dont les chroniques hebdomadaires sont amusantes... si l'on n'en fait pas partie ! (http://www.cam.org/~trot/poubelle.net/).
Regardez par exemple cette page d'art japonais de la Fondation Berger (http://sgwww.epfl.ch/berger/First/french/start_japan.html). Moi qui m'y connais si peu, elle ne m'est d'aucune utilité, elle ne fait que me montrer des images, elle mélange sans rien dire les périodes Asuka, Nara, Kamakura, et coetera, le boudhisme, le shintoïsme et bien d'autres choses. Après cela, on aura beau jeu de dire que le web n'est pas un lieu de culture, et les hautains spécialistes pourront sans honte continuer d'ignorer ce nouveau moyen de communication et de diffusion du savoir.
Ce que le web fait de mieux en mieux, on le
dit partout, c'est l'information utilitaire. Ainsi des dictionnaires de
toutes sortes qui apparaissent depuis un an ou deux. Pour la vie réelle
aussi, on trouve des sites incontournables, par exemple ces pages de Vie
au Japon (http://www.micronet.fr/~jdeguest/japanfiles/jplivingFrame.html),
en français d'abord, puis avec des documents en anglais ou en japonais.
Munissez-vous impérativement d'un logiciel de navigation multilingue
(Netscape japonais avec fontes latines, ou Explorer français avec
module japonais - qui est la vraie nouveauté de ce trimestre, voir
http://www.microsoft.com/ie/download/), car le mojibake vous guette !
Dans
ces pages consacrées au Japon, toutes sortes de choses sont mêlées
car l'auteur ou les auteurs ne sont en fait que les redistibuteurs des
pages d'autres personnes : documents individuels, associations d'américains,
institutions départementales japonaises, offices de tourisme, etc.
Cela peut être très utile et l'on gardera sans doute bien
des signets, tel ce "What is Pachinko ?", avec d'intéressants
détails et des photos d'anciennes machines (http://www.pachinko.co.jp/eng/eindex.html).
Mais il arrive souvent que les documents aient disparu, trop souvent dans
cet index. Or le web ne doit pas être une loterie. Le mérite
d'un distributeur, s'il en a, est de vérifier qu'il a vraiment ce
qu'il prétend avoir ! Et cela, malheureusement, les auteurs
de Vie au Japon ne l'ont sans doute pas fait depuis plusieurs mois.
Est-ce une page abandonnée, une de ces épaves que l'on échoue
sur un banc de sable et que le vent et le sel s'efforcent progressivement
de détruire...?
Navigateur moi-même, et depuis assez longtemps,
je n'aime pas beaucoup ça.
Puisqu'il faut conclure, je commence à rechercher mon timbre. J'en trouve de superbes dans une étonnante page de philatélie japonaise (http://www1.sphere.ne.jp/iwaoka/, là aussi navigateur multilingue obligatoire). Je vous en choisis un avec de superbes cavaliers afin qu'ils vous apportent plus vite mon courrier, à travers les steppes électroniques.