Le mot de Jason
CHRONIQUE MULTIMEDIA  N°10

LE RÉTICULE NE TUE PAS LE RIDICULE

    C'est un grand voyage scientifique dans l'Internet que je voulais vous proposer cet été. De l'infiniment petit à l"infiniment grand, de la composition des nuages à l'exploration des fonds marins, des origines de la vie à la carte de l'ADN. J'avais établi la liste des étapes : sites de vulgarisation, magazines, ponts vers les industries, etc. Ce n'est que partie remise, avec La Recherche et Science et Avenir pour vous faire saliver jusqu'à l'automne. Car un cheval de Troie nous menace... Il est peut-être déjà chez vous... Vous lui tendez l'oreille...
La Recherche : http://www.larecherche.fr/index.html
Science et Avenir : http://www.sciences-et-avenir.com/

 
– Pourquoi avez-vous abandonné la recherche au moment où vous commenciez à vous faire un nom ?
– Si j'avais continué sur ma lancée, je me serais consacré exclusivement aux étoiles, aux galaxies. Certains événements extérieurs m'ont rappelé qu'autour de moi il y avait des hommes, et que la plupart se moquaient bien que les étoiles brillent ou non au-dessus de leur tête (...)  Il nous reste tant à faire pour que cette Terre où nous vivons soit... vivable pour tous les hommes, que j'ai décidé d'y revenir et de mettre la main à la pâte. Avec mes faibles moyens. (p.82-83)
    Ainsi s'exprime le personnage principal de Cyberdanse macabre, roman mi-policier mi-science-fiction de Richard Canal (éditions Flammarion, 1998, collection Quark noir, 69FF); ouvrage que je vous recommande car l'auteur, qui est un vrai scientifique, sous ses dehors de romancier, nous propose une enquête très peu futuriste, malgré quelques évolutions technologiques...
critiques :
http://www.liberation.com/multi/cahier/articles/sem99.08/cah990219h.html
http://www.pelnet.com/icarus/actu/fev99.htm

    Alors quel cheval ?, me demandez-vous. Pourquoi ce changement de programme, et ces armes déterrées ? À cause d'un choc, il y a quelques jours, en écoutant la radio : une information totalement fausse, et même diffamatoire, assénée avec tout l'aplomb d'un spécialiste. C'était sur France-Culture, que je reçois par l'Internet. Depuis plusieurs années maintenant, de nombreuses radios françaises et francophones étendent ainsi, grâce au réseau informatique, leur rayon d'action. Nous en avons déjà présenté plusieurs.
    Ajoutons que depuis quelques mois – c'est donc nouveau  –  plusieurs stations du groupe Radio-France peuvent être écoutées en direct, en permanence, et gratuitement, avec le logiciel RealAudio, maintenant bien connu : France-Inter, France-Culture, France-Info, Le Mouv' – vous n'avez que l'embarras du choix, dans un site plutôt bien organisé, d'un graphisme soigné, dont on regrettera seulement qu'aucun contact par courrier électronique ne soit offert, sauf pour la station des jeunes, Le Mouv'.
Groupe Radio-France : http://www.radio-france.fr/
Radio Le Mouv' : http://www.lemouv.radio-france.fr/index2.htm

    Lorsqu'on vit au loin, on a tendance à faire confiance spontanément à la voix qui vient de la capitale. Ils y sont, eux ! Ils savent ! Ils vont nous le dire ! Et je m'empresse de dire que cela est souvent vrai. Mais le samedi 8 mai 1999, dans une émission spéciale consacrée à Balzac (dont on fête cette année le bicentenaire), et où venaient de s'exprimer avec beaucoup d'intelligence et de clarté des personnes aussi crédibles que Pierre Michon ou Dominique Noguez, voici ce que j'entends, en guise de chronique Internet sur Balzac (par Marie-Catherine Caillavat) :

"Si vous cherchez à assouvir votre soif de Balzac sur Internet, oubliez les pages officielles du Ministère et des médias, et intéressez-vous à un site de fan, de vrai fan. Il n'y a pas d'autre mot pour le décrire. C'est en anglais, et c'est sur AOL. Dès la première page, le portrait du maître par Boulanger vous accueille. Le webmaster vous le dit tout net : C'est en lisant le Père Goriot qu'il est tombé amoureux du monde balzacien. Depuis il a tout lu (...) jusqu'à une page qui, à elle seule, vaut le déplacement : une page où le webmaster a trié, analysé, résumé les éléments de la Comédie humaine afin d'aider le néophyte à progresser et à aimer l'univers de Balzac.
   (...) L'intégralité de l'oeuvre publié de Balzac se trouve, comme il se doit, sur le site du projet Gutenberg. Ce projet, mené par des volontaires, a pour but de mettre à la disposition du public, gratuitement les textes fondateurs de la littérature mondiale tombés dans le domaine public. Malheureusement, tout comme Jules Verne, ce cher Honoré est présent, en anglais seulement."
    Comme j'ai enregistré l'émission, je vous le transcris tel quel. Pour finir, on indique une adresse web erronée. La bonne adresse est celle du site de Bob Serafina dont on n'avait pas donné le nom pour une raison qui m'échappe encore...
    Essayons d'analyser un peu ce discours. Premièrement, rejet des sites institutionnels, sans raison. Deuxièmement, négation de l'identité d'une personne au profit de sa dénomination technique en langage branché. Troisièmement, référence au monde anglo-américain comme garantie de sérieux : c'est sur AOL (ce qui signifie : America On Line), et le fan est webmaster (il aurait pu être "webmestre", qui est loin d'être un mot nouveau). Et quatrièmement, ce qui est le plus grave, on ne trouverait dans l'Internet que des textes de Balzac en anglais. On pourrait remarquer également qu'il est fan, et non universitaire ou philosophe...
   Qu'est-ce que cela veut dire, pour un néophyte ? Il doit comprendre que tout ce qui se fait de mieux sur le net est en anglais : réseau, sites, textes, mots, on "vous le dit tout net" – bon jeu de mots, non ? Le néophyte devra alors penser au fameux retard français en matière d'Internet, car même lui a entendu cela. Il n'a même entendu que cela ! Et tout intellectuel français, néophyte ou pas, doit y faire référence dans son discours pour être à la page. Donc, nous, sur France-Culture, on a tout compris. La chronique dure moins de trois minutes, sur trois heures et demie d'émission ; je crois qu'il aurait mieux valu ne pas faire de chronique Internet du tout... Dans la minute qui suit, quelqu'un dit : "je suis un grand ignorant sur la chose", et "la chose", c'est Internet... Consternant, non ?
    Je rends hommage à Bob Serafina, qui fait un excellent travail et dont je recommande le site, mais il y a dans cette chronique plusieurs erreurs monumentales, et, peut-être, une réelle intention de nuire. Erreur au sujet des oeuvres de Balzac : la plupart sont en accès libre en français sur l'Internet, et plutôt deux fois qu'une, et toujours gratuitement.
    L'Association des Bibliophiles Universelle, ABU, fut historiquement la première à en donner (depuis 1994, si je ne me trompe). Elle fut suivie par la Bibliothèque Nationale de France elle-même, au sein de son merveilleux programme Gallica, où vous pourrez trouver, lisez bien : des dizaines de milliers d'ouvrages en français, du XVIe au XXe siècle, parmi lesquels on trouve très facilement son Balzac : l'intégralité de l'édition Furne, éditée à Paris dans les années 1840-1850, et une bonne partie de l'édition Garnier de 1978, supervisée par P.G. Castex, ainsi qu'une édition d'origine des Contes bruns, co-écrits par Balzac, Philarète Chasles et Charles Rabou en 1832.
    Enfin, le clou du festival Balzac en français : vous pouvez, gratuitement toujours, retrouver les citations et les références de n'importe quel mot ou nom propre dans les oeuvres de Balzac sur le formidable site du professeur Brunet, à l'Université de Nice.
Site de Bob Serafina : http://members.aol.com/balssa/balzac/balzac.html
ABU, textes de Balzac : http://cedric.cnam.fr/ABU/BIB/auteurs/balzach.html
Bibliothèque nationale de France : http://www.bnf.fr/
Concordance de Balzac : http://lolita.unice.fr/~brunet/BALZAC/balzac.htm

    Erreur ensuite sur le retard de la France ou de la langue française, car dans le domaine littéraire, ce serait plutôt une avance, grâce notamment au site de la BNF. Grâce également aux pages du Ministère des Affaires étrangères qui diffuse de très nombreux documents, et en particulier les brochures de l'ADPF (Association de Diffusion de la Pensée Française) sur Bataille, Breton, Giono, le Roman contemporain, etc. Et grâce surtout aux sites francophones canadiens, dont nous recommandons l'hypertexte de la Carte de Tendre. Qu'ils soient officiels, universitaires ou individuels, ils ont été historiquement les premiers à défendre la présence du français sur "la toile".
ADPF, par le MAE : http://www.france.diplomatie.fr/culture/france/ind_adpf.html
La Carte de Tendre : http://ottawa.ambafrance.org/TENDRE/

    Pour conclure, une citation d'un autre livre dont je vous recommande la lecture cet été : il s'agit de La Conférence de Cintegabelle, de Lydie Salvayre (éditions du Seuil, 1999, 69FF). Par digression, son conférencier s'en prend à tous les internautes, "les navigateurs abonnés du cyber-espace et autres autoroutiers de l'information qui jamais ne se voient, ni jamais ne s'entendent et jamais ne s'étreignent (...) sans nulle autre passion que celle de broyer machinalement le noir de leur écran (...) alors que le monde autour d'eux se déchaîne et s'étripe (...)" (p.31)
Cela peut se discuter. Mais voici le "fatal axiome", je cite, qui concerne l'auteur de la chronique de France-Culture, ainsi que les personnes qui scient la branche médiatique où ils se sont trop bien assis, et, pendant qu'on y est, tous ceux que le retard français arrange parce qu'il leur évite de s'y mettre. Elle sonne comme une maxime de La Rochefoucauld (p.18) :

Paraître ce qu'on n'est pas est ridicule,
C'est comme vêtir un singe d'un costume trois pièces.


Patrick Rebollar