Sarah André, « Un regard oblique sur la vérité historique : le monde virtuel du post-exotisme », Trans-, n°7 [Le faux ], février 2009.
- Disponible en ligne et en PDF sur le site de la revue Trans-.
- Copie PDF pour mémoire.
Copie pour mémoire :
Le « post-exotisme » est un univers imaginaire complexe et totalitaire qui vient faire concurrence à la réalité. En inféodant tout ce qu’il touche à ses propres règles de fonctionnement, différentes de celles de la réalité, il se constitue comme une « œuvre-monde », un monde fictionnel autonome à la dynamique endogène. Son porte-parole se cache sous le pseudonyme d’Antoine Volodine, mais ses hétéronymes sont nombreux dans la réalité éditoriale : Lutz Bassmann, Manuela Draeger, Elli Kronauer, sont autant d’auteurs fictifs dont le nom figure réellement sur les pages de titre de livres présents dans les librairies et les bibliothèques. Cette communauté de « faux » écrivains vient ainsi s’immiscer dans le réel et le contaminer à travers un mensonge littéraire qui devient palpable. Dans son dernier entretien, l’auteur revient sur le statut ambigu de son œuvre à la limite du vrai et du faux, à la frontière entre l’existence et des élucubrations oniriques :
Cette multiplicité des signatures est liée à un projet qui consiste à faire apparaître dans le monde éditorial une littérature étrangère écrite en français. Une littérature étrangère dont l’origine n’est pas un pays, mais une fiction, un lieu de fiction, un monde de fiction. Dans ce monde de fiction, une communauté imaginaire d’écrivains emprisonnés, parmi lesquels Lutz Bassmann, Manuela Draeger, Elli Kronauer, échappe à l’enfermement, à la mort et à la maladie mentale en composant des livres. La fiction et la réalité se rejoignent lorsque ces livres sont publiés chez de vrais éditeurs de littérature française. Non seulement ces livres racontent des histoires, mais ils sont issus d’une histoire inventée. Ils existent en tant que livres tout à fait normaux, ils sont mis à la disposition du public […] mais ils existent aussi comme des objets surgis d’ailleurs, un peu comme des preuves matérielles que l’ailleurs existe, et que dans cet ailleurs, carcéral, concentrationnaire, sans issue, il y a des gens comme Lutz Bassmann et ses camarades. C’est donc une fiction qui produit des objets littéraires qu’on trouve dans la réalité des librairies et des bibliothèques [1].
Faux auteurs, faux narrateurs et effets de brouillages
Antoine Volodine écrit à une période où « il s’agissait alors, à partir des lectures et des découvertes des philosophies de Hegel, de Nietzsche, de Heidegger, de Marx lui-même, de détruire toutes les formes auctoriales et de promouvoir les dynamiques de décentrement [2] ». L’auteur lui-même se démultiplie en plusieurs signatures, publie sous différents pseudonymes, éclate en plusieurs hétéronymes pour former un collectif de « Voix du post-exotisme » sans centre unique. Dans le monde fictionnel les écrivains de substitution abondent (Iakoub Khadjbakiro, Will Scheidmann, Breughel…) et viennent renforcer le nombre de « faux » écrivains post-exotiques. Dans la leçon 4 du Post-exotisme en dix leçons, leçon onze, Iakoub Khadjbakiro insiste sur la « mort du narrateur » qui ne devrait plus exister dans les œuvres post-exotiques et qui substitue à sa personne des porte-parole imaginaires :
Le narrateur est préoccupé par sa relation avec le mensonge littéraire. Il se trouve en conflit avec la narration, d’une part parce que la fiction souvent l’amène à épouser étroitement un destin tragique, d’autre part parce que l’idée même de narration, trop peu efficace pour métamorphoser le réel, le répugne. C’est pourquoi, plus séduit par le mutisme ou la rumination autiste que par le romanesque, ce narrateur cherche à disparaître. Il se cache, il délègue sa fonction et sa voix à des hommes de paille, à des hétéronymes qu’il va faire exister publiquement à sa place. Un écrivain de paille signe les romances, un narrateur de paille orchestre la fiction et s’y intègre [3].
Derrière cet homme de paille, il y a celui qui le construit, véritable narrateur qui prête sa voix à un faux-semblant pour mieux dissimuler sa véritable personnalité, et ce dernier laisse des marques dans son récit, tout comme l’auteur transparaît derrière le jeu littéraire qui l’inclut dans la fiction ou au contraire prête la paternité de ses textes à ses personnages.
Dans la terminologie traditionnelle, les théoriciens du récit distinguent les personnes réelles qui participent à la communication littéraire (l’auteur et le lecteur) des instances fictives qui les représentent dans le texte (le narrateur et le narrataire). L’auteur, qui existe (ou a existé) en chair et en os, n’appartient pas au monde de la fiction [4].
Or Volodine cherche à brouiller cette distinction en se mettant sur le même plan que ses narrateurs, et il fait de cette confusion un principe post-exotique qu’il inclut dans la « non-opposition des contraires » : « l’auteur est un personnage [5] ». Pour rompre avec l’univers romanesque traditionnel, il se fond au milieu des créatures qu’il invente grâce à des distorsions des normes éditoriales. Ainsi, sur la page de couverture du Post-exotisme en dix leçons, leçon onze, le nom d’auteur est « Antoine Volodine », mais sur la seconde page de titre intérieure, le roman est attribué à un collectif constitué de personnages narrateurs ou écrivains dans des romans antérieurs (Iakoub Khadjbakiro d’Alto solo, Ingrid Vogel de Lisbonne dernière marge…), ou dans le présent roman (Lutz Bassmann), et d’Antoine Volodine qui est mis exactement sur le même plan que ses personnages fictifs. À l’inverse, ces personnages fictifs acquièrent un statut de réalité en étant mentionnés sur la page de garde à la place du nom de l’auteur, réservée normalement à des « personnes réelles ». Les degrés de réalité et d’imaginaire de Volodine et de ses personnages sont donc confondus et la distinction auteur-narrateur brouillée dans le paratexte même du livre, avant d’entrer dans le récit.
Antoine Volodine affirme que : « quand un écrivain parle d’autre chose que de ses livres, il vaut mieux faire comme s’il était un politicien officiel, et donc ne pas croire une seconde à la sincérité de son discours [6]. » Tout se passe comme si l’auteur masquait sa véritable identité derrière celle d’un « homme de paille », un double falsifié, qui signe ses livres à sa place et assume son existence d’écrivain. La confusion avec d’autres « hommes de paille » imaginaires est donc plus facile et comme nous l’avons vu, la signature de l’auteur peut être multiple et intégrer à la fois son pseudonyme officiel et ceux de ses autres narrateurs. De la même manière, on retrouve dans la leçon 10 du Post-exotisme en dix leçons, leçon onze des livres de Volodine publiés sous son nom, mais qui sont « attribués » à d’autres noms qui sont souvent ceux de ses personnages.
Il utilise aussi les différents éléments du paratexte de ses romans pour faire rentrer ses personnages dans la réalité ou lui-même dans la fiction ; parfois, il superpose sa voix à celle d’un narrateur imaginaire pour se fondre en une seule instance qu’on ne peut plus identifier clairement puisqu’elle comporte des caractéristiques à la fois d’un écrivain réel et d’un protagoniste qui n’existe que sous sa plume. Dans Lisbonne dernière marge, pour cette même volonté de cacher l’individu qui devrait assumer le texte imprimé, Volodine utilise un autre élément qui entoure le texte sans normalement appartenir à la fiction : le sommaire. En effet, à la fin de la première partie du récit premier mais intégré à ce récit, on trouve le sommaire du roman Lisbonne dernière marge présenté comme étant celui d’Ingrid, un personnage qui, dans le récit premier, projette d’écrire un roman. Le sommaire correspond à ses pensées, mais il correspond aussi au plan du roman de Volodine que le lecteur a entre les mains avec les numéros de pages de celui-ci ; on ne sait donc plus exactement de qui sont les récits qui suivent ce sommaire, d’autant plus que l’« introduction » de ce livre commence après l’annonce du plan, comme si ce qui précède ne faisait pas partie intégrante du roman. De plus, si les strates narratives sont souvent repérables grâce à la typographie, la polyphonie provoquée par l’éclatement des narrateurs intradiégétiques brouille la source de la parole et l’identité véritable des protagonistes.
Ainsi, nous avons vu que Volodine dissimulait son vrai nom derrière un pseudonyme ou derrière les noms de ses personnages. Il en résulte un brouillage entre auteur et narrateur, l’identité de Volodine est donc masquée par ses personnages et il devient une sorte d’instance à demi imaginaire, un « homme de paille » dont l’individualité est insaisissable et fausse. Mais les narrateurs qui l’occultent ne sont pas pour autant des individus reconnaissables doués de caractéristiques propres ; au contraire, ils sont aussi flous et multiples que leur auteur et on ne sait pas toujours d’où émane la voix qui produit le récit. C’est en effet sur elle que se concentrent les questions posées par la littérature actuelle comme le rappellent Dominique Viart et Bruno Vercier :
Au cours de la période contemporaine l’interrogation s’est déplacée : elle ne porte plus sur le sujet dont on fait le récit mais sur celui qui entreprend ce récit. Aussi croise-t-on forcément toutes les réflexions qui se sont développées dans les années 1960 et 1970 sur la « mort de l’auteur » de Barthes à Foucault. Pour Beckett, qui fut le plus radical, l’auteur n’est qu’une voix, qui, dans Compagnie (1980), s’interpelle à la seconde personne car il lui est impossible d’écrire « l’impensable ultime. Innommable. Toute dernière personne. Je » [7].
Les récits post-exotiques sont souvent redoublés par la polyphonie des voix qui les énoncent. Par exemple, dans Bardo or not Bardo, la radio est omniprésente et la fiction est sans cesse tissée d’un commentaire extérieur. Le monde n’existe que par son commentaire ; il est redoublé par une seconde voix : c’est le monde contemporain du commentaire. Dans toute l’œuvre volodinienne, il existe un jeu sur le brouillage des narrateurs qui est compliqué par l’invention de l’univers post-exotique qui rajoute le concept de « surnarrateur » qu’il faut sans cesse replacer derrière les narrateurs qui eux-mêmes s’effacent sans arrêt pour donner la parole à leurs personnages [8]. Le collectif carcéral d’énonciation constitue le niveau premier de la fiction. Les narrateurs interviennent au cours de la fiction, ils s’immiscent dans les histoires qu’ils racontent, ils superposent leurs voix à celles de leurs personnages ; ils collectivisent la narration en un geste politique de partage et de communion [9].
Les surnarrateurs sont des êtres incarcérés qui produisent des textes et compatissent avec les personnages qu’ils mettent en scène sans s’épancher à la première personne dans leurs récits. Ils transparaissent pourtant, de temps à autre, par exemple, lors de l’irruption du vocabulaire carcéral dans un autre contexte, par le biais de comparaisons ou de la mention d’expériences que les personnages n’ont pas eues directement. Mais ces surnarrateurs apparaissent parfois directement dans les romans, comme lors des commentaires des shaggas dans Nos animaux préférés, ou comme dans le récit du Post-exotisme en dix leçons, leçon onze. Dans les autres romans, certains narrateurs semblent avoir ce rôle, mais leur identité et même leurs fonctions sont constamment brouillées. Le contexte dans lequel évoluent ces faux écrivains dicte leur conduite de camouflage : la falsification des identités est une nécessité pour échapper à l’ennemi qui rôde, le cryptage des textes est indispensable lorsque les « flics » y cherchent des informations précises contre leurs auteurs. « Parlons d’autre chose » préconisent donc les prisonniers : tout doit être faux, indéchiffrable pour échapper aux lecteurs et critiques malveillants. Les fausses identités peuvent relever d’un ordre ludique, d’un brouillage des frontières entre fiction et réalité, mais elles participent également à la volonté de subversion, d’internationalisme revendiquée par les « voix post-exotiques ».
La falsification des noms
Chez Volodine, les noms propres distincts des êtres qui les portent se situent principalement du côté des personnages positifs car la falsification des papiers officiels et donc de l’identité et du nom des individus concernés relève de la subversion, qui est une des données fondamentales du post-exotisme. En effet, les personnages post-exotiques sont le plus souvent des combattants qui luttent contre un pouvoir officiel quel qu’il soit, comme Zoubardja dans Nuit blanche en Balkhyrie qui aide les vaincus lorsque la dictature égalitariste, qui était son camp au départ et tant qu’elle agissait clandestinement, triomphe : pour toujours rester du côté de la subversion et ne se compromettre avec aucun conformisme. La première arme – et aussi la première nécessité – de ces combattants subversifs est celle de changer leur nom, de falsifier leurs pièces d’identité et donc de mettre en péril leur individualité. Par exemple, le principal personnage féminin de Vue sur l’ossuaire possède plusieurs papiers où elle figure avec des noms différents, un choix arbitraire est effectué dès le début ; mais il n’est pas respecté systématiquement, que ce soit par les enquêteurs ou par cette femme elle-même, pour qui le changement de nom correspond aussi à un changement d’identité.
Dans Lisbonne dernière marge, Ingrid ne peut dévoiler son vrai nom dans le roman qu’elle entreprend d’écrire à cause de la police qui cherche dans ses textes tous les moyens de l’accuser et de la retrouver. Elle s’invente alors de nombreux hétéronymes pour se protéger et cacher son passé, son histoire et ce qu’elle est vraiment ; mais ces noms fictifs qu’elle s’approprie finissent par se confondre avec son vrai nom et Ingrid finit par être désignée par le nom de ses personnages dans le récit premier. Cette utilisation relève d’une volonté idéologique de subversion comme en témoigne la quatrième partie, « Elise Dellwo et la pratique de l’hétéronymie », où tous les collectifs littéraires ne sont en fait qu’un même groupe qui se joue de l’autorité sous différents noms d’emprunt pour signer enfin le dernier texte par « commune reconstituée Elise Dellwo », et souligner ainsi « la pratique de l’hétéronymie considérée comme arme de subversion [10] ». Cette multiplicité de noms s’oppose en effet à l’écrasante homonymie officielle due au culte de la famille Frankhauser. Comme dans Alto solo, l’incertitude qui pèse sur l’identité des personnages post-exotiques à travers la falsification de leurs noms et papiers s’oppose à l’omniprésence du nom de ceux qui détiennent le pouvoir. La clandestinité est en effet un espace de vies parallèles, de démultiplication des identités et de fuite permanente. La comparaison des noms des personnages positifs du post-exotisme avec ceux de prisonniers de guerre prend alors son sens, comme l’apprécie Antoine Volodine :
À plusieurs reprises, on m’a dit que les noms de mes personnages faisaient penser à une liste de prisonniers de guerre, comme pendant la Résistance, au temps où les nazis placardaient sur les murs des listes d’otages étrangers. J’accepte volontiers cette image, d’autant plus qu’elle associe l’identité étrangère à un combat mortel contre l’oppression [11].
De plus, les noms mêmes donnés par l’auteur à ses personnages reflètent son implication dans une démarche subversive qui consiste à abolir les frontières dans son monde fictionnel, dans une volonté d’internationalisme, rejoignant par là « la nécessité, pour un écrivain de ce temps, à être “sans patrie ni frontières” [12] ». C’est pourquoi il associe fréquemment des prénoms et des noms de nationalités différentes, et d’origines culturelles différentes : par exemple Enzo Mardirossian (un prénom italien avec un nom arménien) ou Verena Yong (un prénom allemand avec un nom asiatique) ; ou encore Irina renvoie à l’onomastique russe, Kobayashi à l’onomastique japonaise. L’auteur puise aussi ses noms dans le vaste réservoir de cultures périphériques ou disparues, ce qui augmente les possibilités de combinaisons. Volodine affirme lui-même l’importance de ces noms composites :
J’essaie de déréaliser totalement la référence ethnique, nationale, dans une volonté d’internationalisme, pour représenter un monde où les divisions antagoniques entre nations, régimes auraient disparu. C’est presque une volonté idéologique affirmée d’en avoir fini avec les nationalismes [13].
La xénophilie affichée des personnages se constitue dans le prolongement de l’internationalisme et de la dénonciation récurrente du racisme. Il insiste sur l’importante revendication d’un cosmopolitisme et d’un internationalisme littéraires, qui se rangent du côté des vaincus, des dominés, des opprimés – et dans le même temps sur le refus de tout ancrage national. « Le cosmopolitisme littéraire (en tant que posture, il faut insister) se présente comme le lieu d’une résistance à l’opposition de l’homme enraciné et de l’homme unidimensionnel. Il s’adresse, nous rappelle Olivier Rolin, à l’homme “sans genus autre que l’humain, c’est-à-dire l’universel” [14]. » Le nom est donc un moyen de montrer une certaine idéologie, d’éviter une interprétation réductrice de la fiction, en même temps qu’il permet une séparation d’avec l’univers de référence (la réalité du XXe siècle) pour créer un univers autonome (le post-exotisme). En effet, « le nom ne peut plus être garant d’une quelconque vraisemblance historique qui souhaiterait s’opposer à la fiction [15] ».
Dans le même souci d’échapper à une onomastique réductrice, classificatrice et chargée de sens convenus, les écrivains post-exotiques créent de nouveaux noms pour désigner leurs productions. En effet, leurs écrits se veulent étrangers à la littérature « officielle » et nationale, et pour échapper aux diverses étiquettes attribuées aux différentes formes de renouvellement du roman, ils inventent de nouveaux genres (la shagga, le romance, le narrat…). Pour les surnarrateurs, la construction de catégories nouvelles participe de leur volonté de différence absolue et de subversion par rapport au monde éditorial existant :
Ils cherchaient à définir des supports littéraires qui ne pactiseraient pas avec vous, et qui ne reproduiraient aucune de vos traditions et aucun de vos conformismes ou anticonformismes officiels. Ils ont inventé des formes vides que vous n’aviez jamais eu l’occasion de polluer, et ils les ont remplies avec des visions auxquelles votre sensibilité est étrangère. Là aussi, par là aussi ils étaient entrés en dissidence. Ils ont inventé le genre romance pour ne pas être mêlés à vous ni à vos tentatives de rénovation du roman, à toutes les jongleries boutiquières des avant-gardes institutionnelles [16].
Dans l’ouvrage presque théorique du Post-exotisme en dix leçons, leçon onze, des nouveaux genres sont mentionnés (comme le murmurat) ou sont décrits, avec leurs propres règles de fonctionnement (par exemple la shagga est constituée de sept parties de longueurs égales et d’un commentaire). Dans la réalité éditoriale, certains textes de Volodine sont encore présentés comme des « romans », mais de plus en plus, l’auteur arrive à imposer le nom de ses propres genres sur les pages de couverture (Des Anges mineurs sont des « narrats », Vue sur l’ossuaire des « entrevoûtes »…). La structure des récits qui ne bénéficient pas d’une telle appellation ressemble néanmoins à celle des « genres » post-exotiques. Ainsi, de nombreux « romans » volodiniens se composent de sept parties comme la « shagga ». En outre, dans la liste correspondant à une immense bibliothèque imaginaire dont la dixième leçon du Post-exotisme en dix leçons, leçon onze peut donner un aperçu, les titres de textes réellement publiés sont présentés avec leur vrai titre, mais avec un faux nom d’auteur et un faux genre. De cette manière, tous les titres sont classés dans des genres post-exotiques (souvent le romance). Ces « faux genres » sont également caractérisés par leur propension à la fausseté, à la falsification (des papiers ou des noms, comme nous l’avons vu, mais pas seulement). Le mensonge est en outre un des moteurs principaux de cette construction littéraire subversive dans laquelle les « ennemis » rôdent toujours : il faut « parler d’autre chose », travestir les évènements, masquer les identités, déstabiliser toute certitude sur l’instance narrative, faire des détours.
Le mensonge comme regard oblique sur le monde réel
Les détours par l’ailleurs ramènent souvent au cœur des préoccupations contemporaines, le voyage par l’imaginaire est un moyen de regarder la vérité du monde avec un regard plus lucide. D’après les mots de l’auteur, il permet de « mettre le lecteur devant ce réel laid ». La fabulation de l’Histoire fait appel à l’inconscient pour faire ressentir plus fortement les injustices dans le même temps qu’elle pousse à réfléchir grâce au recul de la fiction. Les récits de fausses histoires permettent aussi de parler obliquement de sujets trop difficiles à aborder frontalement, la souffrance, les camps, les guerres… Le faux, le passage par l’imaginaire pour revenir à certaines formes de vérité sont ainsi inhérents à l’expérience littéraire dont le propre est justement de créer du faux pour apporter un regard sur le vrai.
En effet, si les textes post-exotiques se veulent toujours « cryptés », on peut retrouver derrière les mondes imaginaires qu’ils mettent en scène des faits historiques réels et des préoccupations contemporaines. De plus, le passage par la fiction permet de mettre en évidence certains aspects de la société notamment en les rendant plus incompréhensibles et plus absurdes en les simplifiant ou en les faisant voir d’un point de vue extérieur. Par exemple, dans Alto solo, des catégories de personnes sont exterminées seulement parce qu’elles sont « nègues » ou « piafs », étiquettes données arbitrairement (le directeur du bar décide que les trois prisonniers sont « nègues » à cause du nom de l’un d’entre eux qu’il déforme complètement) ; mais le lecteur ignore ce que représentent ces dénominations et il est alors confronté à un racisme d’autant plus incompréhensible que les « races » sont très mal définies voire inexistantes ou inventées, ce qui doit le pousser à réfléchir sur son propre monde (« nègue » peut très facilement faire penser à « nègre » par exemple). Volodine explique lui-même que « passer par l’ailleurs permet de revenir au réel avec un regard moins brouillé, plus propre. On revient à tout ce qui nous préoccupe, au fond : le sens de l’histoire, les atrocités vécues au XXe siècle, la vie et la mort. Passer par l’ailleurs est un voyage tout simple [17] ». C’est pourquoi le roman imaginé par Ingrid dans Lisbonne dernière marge peut n’être qu’une façon imagée, cryptée à cause des services antiterroristes du BKA allemand mais facilement décodable, de problèmes réels présents dans le monde du lecteur.
Ainsi, on peut remarquer de nombreuses correspondances entre le récit premier de Lisbonne dernière marge et les récits enchâssés. Par conséquent, on peut supposer que les problèmes de filiation, l’absence d’enfants et le mystère des « ruches » peuvent avoir des liens avec des éléments du récit premier à l’aspect « réaliste » et correspondre alors à des éléments réels présents dans l’univers du lecteur. Par exemple, dans le vocabulaire employé plus ou moins métaphoriquement dans le récit premier, on retrouve les mêmes thèmes développés dans les fragments de textes enchâssés : dans la cinquième partie, Ingrid Vogel emploie des termes en rapport avec des porcheries [18] pour désigner des réalités du XXe siècle. Les récits enchâssés dans cette partie sont ceux du Montreur de cochons, on repère alors facilement les analogies entre le monde boueux où évoluent des porcs et les pays réels désignés par Ingrid par des mots qui renvoient eux aussi à une porcherie. D’ailleurs elle explique elle-même le but de son livre : « J’aimerais que le lecteur, lui-même crotté jusqu’aux yeux de boue et de purin, flaire le caractère absurde et scandaleux des uns et des autres, et même l’hypocrisie des raisons officielles de leur affrontement [19]. »
En rapprochant les deux niveaux de récit, on peut constater que ce qui est caché à l’intérieur des « ruches » n’est pas des êtres mystérieux immatures mais l’enfance même des adultes qui a été falsifiée dans leur mémoire. Ingrid suggère cette hypothèse en disant dans la même partie : « dans mon livre, tout sera ininterprétable et dévoyé sur des sentiers ininterprétables, même notre enfance [20]. » Et ce secret qui pèse sur l’enfance des protagonistes renvoie lui-même à des évènements historiques réels précis qui sont évoqués dans le récit premier, et dans des termes qui facilitent les correspondances avec les textes issus de la société imaginaire de la Renaissance : par exemple, « le Troisième Reich n’avait été qu’une variante à peu près confidentielle d’un conte apocryphe des frères Grimm [21] ». On peut alors établir des relations entre le mystère qui pèse sur les ruches et la version officielle de l’Histoire en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale :
Après la défaite de l’Allemagne éternelle, nous avons eu droit à la même lobotomie sournoise […] notre enfance était bercée par le caquetage des machines à coudre les cicatrices, et l’on entendait les hitlériens sanguins et consanguins extirper de leur code génétique et de leur mémoire et de leur chair intime, amollie déjà par la social-démocratie et la bière, toute trace d’une possible compromission avec le passé compromettant [22].
Et cet oubli volontaire, dirigé par les officiers nazis, correspond dans les récits enchâssés aux « éducateurs » qui forment les enfants, par des « contes », à réciter une version des faits dans laquelle la guerre n’a jamais eu lieu. Pour les enfants réels de l’après-guerre, comme pour Ingrid et Kurt, la vie de leurs parents et leur propre petite enfance, dont ils ne peuvent se souvenir que grâce à ce que leur racontent les adultes, restent un mystère car ils peuvent s’apercevoir d’une discordance entre ce qu’on leur dit et ce qu’ils voient, sans pour autant savoir reconstituer la vérité. Ainsi, ils constatent que leurs villes sont en ruines et en reconstruction, mais on leur apprend qu’il ne s’est rien passé, que la guerre n’a pas existé et que tout a toujours été comme cela. Ingrid dénonce alors le mensonge des pères et leur négation des faits historiques auxquels ils ont participé :
Les oncles en uniforme de la Wehrmacht nièrent avoir connu un quelconque élan d’enthousiasme pour quelque Führer que c’eût été et nièrent les engelures qui chaque hiver leur faisaient éclater les doigts sur le front de Biélorussie ou d’Ukraine, et nièrent avoir peint des caractères gothiques sur les pancartes destinées à indiquer la qualité ou la catégorie des hommes et des femmes pendus aux balcons en ruines […] et ils nièrent avoir parcouru l’Europe en bottes bien cirées puis avoir reculé en colonnes affreuses, souillées de poussière et de gangrène, ils nièrent tout cela [23].
L’anaphore du verbe nier montre l’ampleur du mensonge des pères et leur reniement d’eux-mêmes qui déstabilisent les conceptions de leurs enfants sur le passage du temps, la naissance, et la filiation. En effet, comme les parents veulent faire croire que l’état actuel des choses a toujours existé, les enfants ne peuvent pas s’imaginer que leurs parents ont été, un jour, enfants avant eux, ce qui donne l’impression de deux mondes séparés comme l’illustre la métaphore des ruches dans les récits enchâssés où les adultes ont toujours été adultes et où les enfants ne sortent pas de leur univers enfantin. L’immobilisme de ces états est tout de même problématique et les collectifs imaginaires aussi bien qu’Ingrid dénoncent ironiquement l’anomalie de la permanence des choses et des êtres :
Mon père travaillait depuis toujours dans une entreprise d’électricité, il y avait même quelque chose d’absurde à imaginer qu’il eût pu un jour connaître une naissance, une enfance, puis l’âge de porter les armes et d’acclamer un éventuel Führer, non, il avait éternellement occupé les fonctions de monteur-radio, il était apparu au monde devant une chaîne de montage, il n’avait jamais été père, et le simple Gefreiter Vogel […] n’avait jamais été blessé à la hanche en Pologne, non, le Gefreiter Vogel avait toujours claudiqué pour se rendre à son travail [24].
Cette description rappelle le monde fictif de la Renaissance où les adultes apparaissent tels qu’ils sont, déjà sous leur forme adulte, et avec un métier défini ; mais elle rappelle également le monde réel avec l’évocation du « Führer », et avec le mot « Gefreiter » qui signifie en allemand « caporal » et qui renvoie donc à la hiérarchie militaire (présente aussi à la place du prénom du père de Kurt avec « Obergefreiter » qui signifie « caporal en chef ») et à la guerre. De plus, les mensonges sur le passé des adultes expriment métaphoriquement ce malaise collectif d’après-guerre où les enfants sont brutalement coupés de leurs ancêtres soit morts soit trop différents pour entretenir avec eux des rapports de filiation. Pour passer d’un monde à l’autre, l’oubli total est nécessaire, comme les adultes de la Renaissance imaginaire ne peuvent plus se rappeler leur enfance dans les « ruches », Ingrid et Kurt doivent oublier leur enfance pour grandir et se conformer à la version officielle des faits, dans un monde où il ne s’est jamais rien passé, « afin d’en émerger […] adulte et sans mémoire [25] ».
Le clivage entre les « flics », qui transmettent la version officielle des évènements et protègent les ruches et les collectifs littéraires qui recherchent la vérité sur leur propre enfance, est encore présent entre Kurt, qui a effacé la guerre de sa mémoire pour perpétuer la répression et reconstruire l’Europe, et Ingrid qui refuse d’oublier son passé historique et son enfance et qui s’entête à vouloir se souvenir de la guerre et à chercher tout ce qui s’y est vraiment passé, malgré l’interdit tacite de parler de tout ce qui touche au nazisme en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale.
Cependant, grâce au détour par la fiction, Volodine peut élargir son discours, et les problèmes de filiation qu’il décrit peuvent être provoqués par n’importe quelle guerre, que ce soit l’absence du père mort ou au combat, ou l’absence de repères pendant l’après-guerre où les parents ne sont plus des modèles et où le passé immédiat est « soudain éliminé de la mémoire collective [26] » par le régime officiel. Ainsi, toutes les recherches des collectifs littéraires de Lisbonne dernière marge sur leurs origines biologiques et historiques dont ils ne savent rien depuis la « guerre noire » peuvent aussi bien renvoyer à celles de la génération réelle née durant la Seconde Guerre mondiale qu’à celles de générations d’après-guerre dans d’autres pays et à d’autres époques. Par exemple, dans le récit premier, si nous avons vu que les allusions à la Seconde Guerre mondiale étaient fréquentes, on peut aussi relever des évocations de la guerre civile espagnole qui a elle aussi bouleversé la filiation en séparant une même famille dans deux camps différents, et en cachant aux enfants leurs ancêtres : « comme dans les familles franquistes d’Espagne où paraît-il, en cachette des fils effarés, on découpait sur les photos, à la fin des années trente, le visage des oncles et des pères républicains [27]. »
Le point de vue adopté, celui des « sous-hommes », permet de se confronter avec des vérités non officielles, celles qui dérangent ou qui sont soigneusement mises à l’écart. L’état des personnages post-exotiques, des gueux semi-humains à l’aspect fantastique, renforce le caractère de fiction, voire de science-fiction, des récits, mais il correspond aussi à une posture choisie, voulue par l’auteur qui y voit une justification à ses dénonciations :
La rupture avec le réel serait radicale si j’attribuais à ces narrateurs des caractères inhumains. Mais ce n’est pas le cas, ils sont profondément humains au contraire. Assez profondément humains pour se poser la question même de leur humanité, et choisir de prendre place, sans complaisance de leur part, dans une forme de sous-humanité. Revendiquer ce statut d’« Untermensch » (« sous-humain »), c’est une manière de se situer dans l’humanité en rupture légère, de parler de l’humanité avec déchirement, avec passion. La sous-humanité est une situation qui permet à la parole sur l’humanité de ne pas être didactique ou proclamatoire : quand on est en dessous, on peut se permettre de juger, de déplorer que l’humanité soit dans l’état où elle se trouve [28].
C’est à ce titre que cette œuvre, dont la spécificité reste l’extrême fictionnalité et le domaine du faux, peut être qualifiée de subversive dans le sens où elle a le pouvoir de remettre en question les vérités établies qui ne correspondent pas forcément à la réalité des choses.
À travers plusieurs modalités du faux dans l’œuvre d’Antoine Volodine, notamment au niveau de la démultiplication d’identités et d’instances auctoriales, nous avons tenté de montrer que les confusions de voix narratives, la construction d’un univers imaginaire autonome, les techniques de mensonges et les principes d’incertitudes qui caractérisent les romans post-exotiques, s’ils produisent en premier lieu une forte impression de fantastique (renforcée par la publication des premiers livres en science-fiction), n’empêchent pas une implication dans le réel. En effet, ce « faux » monde et ses personnages aux faux papiers, fausses identités et mémoire falsifiée, permettent un regard décalé sur les vicissitudes de la réalité, qui lui-même se pose comme une dénonciation des mensonges officiels : la fiction devient un moyen de combattre le faux dans le réel.
Bibliographie :
Crom, Nathalie, 2003, « Les voix narratives », Revue des deux mondes, février, p. 57-65
Jouve, Vincent, 2001, La Poétique du roman, Éditions Armand Colin, collection « Campus Lettres ».
Montrémy, Jean-Maurice (de), 2008, « Volodine disparaît », in Livres Hebdo, vendredi 18 avril.
Nicolas, Alain, 1999, « Volodine chante avec les anges », in L’Humanité, 7 octobre.
Ouellet, Pierre, « La communauté des autres. La polynarration de l’histoire chez Volodine », in Pierre Ouellet, Simon Harel, Jocelyne Lupien et Alexis Nouss (éds), 2002, Identités narratives. Mémoire et perception, Laval, Québec, Presses Universitaires de Laval, collection « InterCultures », p. 69-84
Rolin, Olivier, 2001, La Langue, Lagrasse, Paris, Verdier.
Ruffel, Lionel, 2003, Face au vingtième siècle : Esthétique et politique dans l’œuvre d’Antoine Volodine, thèse inédite sous la direction de Guy Larroux, Toulouse, Université de Toulouse Le Mirail.
—, 2005, Le Dénouement, Paris, Éditions Verdier, collection « Chaoïd ».
Saint Arnoult, Thierry, 2007, La Transe et l’échappée, Antoine Volodine ou l’écriture du désastre, thèse de doctorat sous la direction de Joëlle Gleize, Aix-en-Provence, Université de Provence Aix-Marseille I, UFR de Lettres et Sciences humaines, département de Lettres modernes, juillet.
Vercier, Bruno, et Viart, Dominique, 2005, La Littérature française au présent. Héritage, modernité, mutations, Paris, Éditions Bordas, collection « La Bibliothèque Bordas ».
Volodine, Antoine, 1990, Lisbonne dernière marge, Paris, Éditions de Minuit.
—, 1998, Le Post-exotisme en dix leçons, leçon onze, Paris, Gallimard.
—, 2002, « Écrire en français une littérature étrangère », conférence prononcée le 14 décembre 2001 lors des rencontres littéraires franco-chinoises organisées à la BNF, Chaoïd, n° 6, hiver, www.chaoid.com.
Wagneur, Jean-Didier, 1999, « Tout se déroule des siècles après Tchernobyl », in Libération, 2 septembre.
—, 2003, “Let’s Take that from the Beginning Again…”, in SubStance, A Rewiew of Theory and Literary Criticism, Santa Barbara, USA, University of Wisconsin Press, University of California at Santa Barbara, n° 101, vol. 32, n° 2.
—, 2006, « On recommence depuis le début… », (version française augmentée) in Antoine Volodine. Fictions du politique, Caen, Éditions Minard, collection « Écritures contemporaines », n° 8, p. 227-277.
[1] Jean-Maurice de Montrémy, 2008.
[2] Lionel Ruffel, 2005, p. 32.
[3] Antoine Volodine, 1998, p. 38.
[4] Vincent Jouve, 2001, p. 24.
[5] Antoine Volodine, 1998, p. 39.
[6] Entretien d’Antoine Volodine avec Jean-Didier Wagneur, « On recommence depuis le début… », février 2003.
[7] Bruno Vercier et Dominique Viart, 2005, p. 46.
[8] « Les surnarrateurs sont une mise en fiction de la fonction narratoriale telle qu’on la retrouve dans toute prose. Cette dissociation renvoie pourtant à la dissociation intrinsèque de toute prose post-exotique : le “surnarrateur” est le narrateur dans sa situation carcérale et le “sous-narrateur” est le narrateur qui se mêle aux personnages du roman qu’il met en voix », Thierry Saint Arnoult, 2007, p. 280.
[9] « L’identité même du narrateur, qui a plusieurs mains et plusieurs voix pour écrire et pour parler, plusieurs oreilles pour entendre, ne relève pas tant d’un dédoublement de la personnalité, comme dit la plus bête des psychologies, mais d’une commune condition des êtres parlants ou des singularités narrantes, qui est d’être à la fois enfermés dans les quartiers de haute sécurité du monde entier et libéré mystérieusement par une parole qui échappe profondément aux traditions du monde officiel », Pierre Ouellet, 2002, p. 75.
[10] Antoine Volodine, 1990, p. 134.
[11] Antoine Volodine, 2002.
[12] Olivier Rolin, 2001, p. 75.
[13] Entretien de Volodine avec Alain Nicolas, 1999.
[14] Lionel Ruffel, 2005, p. 67
[15] Lionel Ruffel, 2003, p. 153.
[16] Antoine Volodine, 1998, p. 36.
[17] Entretien d’Antoine Volodine avec Jean-Didier Wagneur, 1999.
[18] Par exemple, dans Lisbonne dernière marge : « porcherie occidentale », « bauge occidentale », « porchers du monde occidental », « cochon occidental » (p. 153), « les verrats et les truies de l’Atlantique Nord » (p. 152), « cette cochonnerie de la violence » (p. 173), « fumier militaro-industriel », « bourbeux paysage occidental » (p. 174).
[19] Antoine Volodine, 1990, p. 173.
[20] Ibidem, p. 82.
[21] Ibidem, p. 80.
[22] Ibidem, p. 78.
[23] Ibidem, p. 78-79.
[24] Ibidem, p. 81.
[25] Ibidem, p. 81.
[26] Ibidem, p. 70.
[27] Ibidem, p. 78.
[28] Antoine Volodine, entretien avec Nathalie Crom, 2003, p. 59.