Emily Barnett, « Les cas Volodine », Les Inrockuptibles, n° 815, 13 juillet 2011, p. 97.
- Cet article est publié dans le cadre d’un dossier « Livres spécial été / pseudos, le nom du non », avec des articles sur Carmela Ciuraru, Romain Gary / Emile Ajar, le genre érotique, André Pieyre de Mandiargues, Joyce Carol Oates, Catherine & Alain Robbe-Grillet et Marguerite Duras.
Pour mémoire :
Ni happening littéraire, ni délire narcissique, le recours aux pseudonymes d’Antoine Volodine correspond davantage à une posture éthique et politique.
Tous ceux qui l’ont interviewé le savent : se retrouver seul dans une pièce avec Antoine Volodine confine à une expérience forte, voire paranormale. Posez-lui une question sur son travail, son enfance, sa vie, il vous répondra systématiquement par ce déconcertant pronom personnel : « nous ». Délire narcissique ? Melon delonien ? C’est tout le contraire.
Auteur réputé inclassable depuis la fin des années 80, Volodine a encore aggravé son cas en publiant sous pseudo au début des années 2000. Sous les noms d’Antoine Volodine ou Lutz Bassmann, il produit des romans à la noirceur radicale, où une poignée de résistants constituée d’écrivains évoluent dans des mondes postapocalyptiques (Des anges mineurs, Bardo or not bardo, Haïkus de prison). Sous les hétéronymes Elli Kronauer puis Manuela Draeger, il s’est illustré dans des romans pour la jeunesse à peine moins dark (une quinzaine de titres à L’Ecole des loisirs). Mais c’est à la rentrée 2010 que tout cela a pris un tour encore plus surprenant puisque sont sortis simultanément trois livres du même auteur, sous trois pseudonymes et chez trois éditeurs différents : Écrivains, signé Volodine (Seuil), Onze rêves de suie, signé Draeger (L’Olivier) et Les aigles puent, signé Bassmann (Verdier).
Au-delà du happening littéraire, le recours à l’hétéronymie par Volodine remonte à beaucoup plus loin : « L’idée d’une communauté d’écrivains imaginaires a d’abord pris forme dans la fiction, avec notamment Le Post-Exotisme en dix leçons, leçon onze. À partir des années 2000, ces figures d’auteurs inventées ont basculé dans le monde réel et ont commencé à exister dans le monde éditorial. »
À travers le temps et les publications, l’écrivain a construit un édifice romanesque à plusieurs voix, dont il se dit simple porte-parole. Ce qu’on pourrait prendre pour un furieux cas de schizophrénie vise en fait un idéal : condamner l’ego tout-puissant de l’écrivain individualiste, au profit d’une collectivité d’auteurs imaginaires partageant la même utopie. L’usage du pseudonyme se retrouve ainsi au service d’une posture éthique et politique. Tout en lui offrant en échange une conversion en phénomène littéraire inédit.