Dominique Soulès, « La langue chahutée d’Antoine Volodine » / intervention au colloque annuel de la SESDEF (« Faire danser la langue, le langage en jeu »), Université de Toronto, 5 et 6 mai 2011.
Pour mémoire :
Là où Proust parle d’une sorte de « langue étrangère », Barthes emploie l’expression « tricher la langue » ; dans les deux cas cependant il s’agit, pourrait-on dire, de « faire danser la langue » et d’en faire un terrain non seulement de jeu mais aussi de mise à l’épreuve – de la langue elle-même et du lecteur également… Antoine Volodine, auteur français contemporain, est de ceux dont les œuvres donnent à lire un engagement manifeste dans la langue qui se traduit par une entreprise linguistique particulière et polymorphe. S’emparant de l’anthroponymie, dans ses œuvres luxuriante et piégée, il en fait un espace au sein duquel signifiants et signifiés nouent des liens parfois polyglottes et complexes qui in fine déportent le lecteur attentif au-delà des œuvres et, par le biais de ces rêveries sur les noms provoquées, il le renvoie à des problématiques certes linguistiques mais aussi historiques et politiques. Si les anthroponymes représentent un exemple particulièrement évident de son travail sur la langue, l’entreprise langagière de Volodine ne se limite pas à eux seuls. L’auteur en effet s’affronte également aux noms communs, du moins à cette catégorie qu’il décide d’augmenter de néologismes particuliers de son cru. Certaines situations intradiégétiques dans lesquelles les personnages questionnent le sens des mots ne sont que la mise en abyme d’une pratique auctoriale omniprésente et diversifiée qui, se limitant rarement au pur ludisme langagier, donne à lire des mots qui pèsent plus que d’autres et induisent par exemple une réflexion sur les exterminations de la seconde guerre mondiale ou le dire (impossible) de la rencontre sexuelle. Mais dépassant le travail sur un seul terme, Volodine tord aussi fréquemment le cou à des locutions figées ; sans répondre à des contraintes rigides, cette pratique récurrente, notamment fondée sur la paronomase et des distorsions revivifiantes, s’articule en différents ensembles thématiques parmi lesquels des variations sur le corps. Celles-ci, présentes dans différentes œuvres, permettent de dépasser l’inventivité lexicale pertinente dans un contexte précis et assurent en partie la cohésion de l’édifice romanesque post-exotique – car c’est ainsi, à l’aide de ce néologisme mystérieux, que Volodine nomme son œuvre et qu’il révèle déjà partiellement comment il s’empare de la langue.