Guillaume Asselin, Entropologiques : métamorphoses du sacrés dans la littérature contemporaine / thèse présentée comme exigence partielle du doctorat en études littéraires, sous la direction de Pierre Ouellet, Université du Québec à Montréal, octobre 2008, 321 p.
- disponible à l’adresse : http://www.archipel.uqam.ca/1522/1/D1728.pdf
Résumé
« Le problème capital de la fin du siècle sera le problème religieux », déclarait André Malraux en 1955. Si l’on cite volontiers son mot selon lequel le XXIe siècle verrait l’éclosion d’un phénomène spirituel majeur, on omet presque toujours la suite. L’écrivain avait pourtant bien pris soin de préciser que ce phénomène ne serait pas forcément la naissance d’une nouvelle religion. L’auteur de La métamorphose des dieux pressentait ainsi « qu’une renaissance religieuse se fonderait sur des données qui ne sont pas les nôtres » et que le problème spirituel se poserait probablement « sous une forme aussi différente que celle que nous connaissons que le christianisme le fut des religions antiques ». À observer ce que la spiritualité devient dans la littérature contemporaine, force est d’admettre qu’il avait vu juste. De Dieu, des dieux, ne reste plus qu’un « effet de trace » là où la croyance s’est pratiquement effacée de l’espace public et artistique. Ce sont ces « survivances » et leurs effets de spectralité qu’il s’agit ici d’interroger sur la base des œuvres d’André Malraux, de Louis-Ferdinand Céline, de Marcel Moreau, d’Antoine Volodine, de Juan Garcia, de Pascal Quignard, de Valère Novarina, d’Éric Chevillard et de Philippe Beck. Toutes ont en commun de prendre en charge cet héritage qui a modelé si profondément nos façons de penser, de percevoir, d’agir et de vivre en société, afin d’en extraire le suc et de mettre à jour ce qui avait été voilé sous le manteau des mythes et de leurs images : une énergie pure, à laquelle il s’agit dorénavant de donner corps par l’écriture, libre de toute servitude théologique. Ce qui paraît ainsi pour la première fois à la lumière de cet effacement est ce que les dieux et leur cortège mythologique n’auront jamais cessé d’occulter : la parole elle-même comme démiurgie et fonds abyssal des théogonies et des rêveries d’absolu, comme sous-bassement poïétique du sacré et de ses figures tutélaires. La méthode employée pour étudier ces vestiges du sacré, « l’entropologie », fait écho à une proposition de Claude Lévi-Strauss qui, dans Tristes tropiques, suggérait de fonder sous ce néologisme une science qui se chargerait d’étudier les processus et les lois préludant aux phénomènes, complexes, d’usure et d’entropie. À la religion qui, fuyant la multiplicité chaotique des phénomènes en dressant l’écran d’un arrière-monde, tend à oblitérer les forces cosmiques sous des formes vidées de toute potentialité, la littérature oppose une parole vive qui brise le carcan des formes instituées, afin de libérer et de recycler l’énergie qui y est fossilisée. Les métamorphoses du sacré que donnent à lire les œuvres soumises à l’analyse se traduisent ainsi par le passage d’une représentation traditionnelle, substantielle de l’espace, des corps et de la parole à des modalités de spatialisation, d’incarnation et de matérialisation éminemment paradoxales, spectrales. Ce sont ces nouvelles modalités qu’il s’agit ici d’étudier, en trois temps bien distincts (métamorphoses de l’espace, des corps et de la matière).