À la vie, à la mort. Antoine Volodine par Joris Mathieu

Laurent Catala, « À la vie, à la mort. Antoine Volodine par Joris Mathieu / compte rendu », Mouvement.net, 26 octobre 2010.
[http://www.mouvement.net/site.php?rub=2&fiche_alias=&id=4e8487a6bdf53e35]

  • Traite des pièces Le Bardo et Des Anges mineurs, adaptées d’œuvres de Volodine, proposées par la compagnie Haut et Court et mises en scène par Joris Mathieu.

Pour mémoire :

En transposant à la scène Des Anges Mineurs ou Le Bardo, œuvres oniriques de l’écrivain Antoine Volodine, la compagnie Haut et Court du metteur en scène Joris Mathieu met au service du spectateur tous les artifices de son fascinant théâtre optique pour un bien énigmatique voyage sensoriel, à la lisière de la vie et de la mort.

D’un coup, la porte face à moi s’ouvre. Je rentre dans la pièce et me voici plongé dans le noir. A travers l’obscurité, une silhouette se dessine. Elle me parle, me rassure, me dit ne pas m’inquiéter. Mon parcours a commencé. Un parcours étrange, initiatique. Un chemin entre la vie et la mort où ma dimension d’homme semble croiser celle de l’humanité entière. Une humanité errante, ni morte, ni vivante, qui me renvoie une image indécise : la mienne, à l‘évidence, percluse de doutes et de questionnements. Porte après porte, de nouvelles pièces se révèlent. Sept au total. Des tableaux oniriques où un personnage fantomatique vient vous parler à l’oreille. D’autres où, face à un écran, on entretient une étrange conversation téléphonique avec un personnage mutant, mi-homme, mi-femme, se transformant dans de troublantes convulsions visuelles. D’autres encore, où l’on assiste à un étrange ballet de personnages irréels, plongés dans une lente torpeur, rappelant les acteurs des précédentes chambres, telles celles des Silent Room de Skoltz_Kolgen, ou celles de l’Institut Benjamenta des Frères Quay. Dans la dernière pièce, une jeune femme hagarde m’observe depuis son lit – lit de mort à l’évidence – tandis que les murs se mettent subitement en branle comme ceux d’un ascenseur. Elle m’invite à quitter la pièce, et du même coup à mettre un terme à cette bien curieuse traversée théâtrale. Car c’est bien de théâtre dont il s’agit. Mais un théâtre étrange, optique, indéfiniment spatio-temporel. Où le spectateur, seul, « se confronte à lui-même et ouvre des portes intérieures insoupçonnées ».

Cette expérience, cette traversée, effectuée en juillet dernier dans le cadre, un brin mystique, de la Chartreuse de Villeneuve-Les-Avignon, c’est celle du Bardo – en référence au Bardo Thôdol, le livre des morts tibétains qui, lu au chevet des mourants, leur donnait une suite d’instructions pour dépasser la mort et transformer ce processus naturel en un acte de libération. Et son prodigueur, c’est la compagnie Haut et Court du metteur en scène Joris Mathieu, et à travers elle, l’écrivain Antoine Volodine. Entre la compagnie et l’auteur lyonnais, un véritable travail d’adaptation théâtrale dans la durée s’est établi. Une manière de transfigurer l’œuvre d’un écrivain aussi intrigant que mystérieux, à l’univers à la fois onirique, singulier et violent, où le chaos humain semble s’être installé à la lisière de la vie et de la mort, entre fiction politique brutale et surréalisme chamanique.

C’est d’ailleurs en réadaptant à la scène différents textes tirés du roman du même nom que la compagnie Haut et Court a écrit la pièce Des Anges Mineurs, créée au Théâtre de Vénissieux en janvier 2009 et qui sera programmée, dans sa version définitive, en octobre et novembre à l’Arc du Creusot, au Trident de Cherbourg et au Théâtre universitaire de Nantes. Là encore, pour cette épopée en trois volets, racontant l’histoire d’une poupée de chiffon devenue homme et partageant avec d’autres une errance sans fin, c’est à une véritable expérience sensorielle que la compagnie invite le spectateur. Une « narcose scénique », comme le décrit Joris Mathieu, instillée par l’imbrication du jeu de comédiens et de saisissantes projections holographiques, liant dans une myriade d’illusions optiques, la puissance des textes du fondateur de l’auto proclamé courant « post-exotique » à une ambiance trouble de fin du monde.

Comme dans Le Bardo, l’influence bouddhiste, chère à Antoine Volodine, perce encore dans une pièce composée de 49 tableaux. En effet, à terme, la traversée du Bardo devrait, elle aussi, compter 49 chambres, soit sept fois sept – dans le Bardo Thodôl tibétain, le voyage dans l’au-delà du trépassé commence à son dernier souffle et peut durer jusqu’à sept fois sept jours, soit 49 jours. Mais dans la fresque théâtrale Des Anges Mineurs, ces 49 instantanés agissent déjà comme autant de pièces d’un puzzle aux formes humaines et aux contours cinématographiques, mais conduits par un sens profondément intérieur. Là-aussi, même si la pièce s’adresse collectivement au public, le message s’entend bien pour chaque individu que nous sommes. Et constitue un excellent aperçu de l’expérience déambulatoire et métaphysique du Bardo et de ses chambres labyrinthiques, reliant le monde des vivants à celui des morts, et dont le chemin de croix vers la 49e station devrait se poursuivre dans de nouvelles étapes de création en mai et juin 2011, au Trident de Cherbourg et à la Comédie de Caen.

>Des Anges Mineurs, les 9 et 10 novembre au Trident, scène nationale de Cherbourg-Octeville et du 17 au 19 novembre au Théâtre universitaire de Nantes.

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