[collectif] Limite, Malgré le monde, Paris : Denoël, 1987, 184 p., coll. présence du futur, n° 452.
- 4e de couv. et Sommaire sur le site de la Librairie Ys (ci-dessous).
- préface : « Sept, sont-ils sept ? », du site de Jacques Barbéri (ci-dessous)
- Article d’André-François Ruaud, Fiction 398, 1er juin 1988 (ci-bas).
- Points de vue Limite, par Francis Valéry, dans Passeports pour les étoiles, Paris : Gallimard, 2000, coll. folio SF, n° 30 (ci-très-bas).
- « À cette époque, certains écrivains se singularisent déjà dans le genre, comme Serge Brussolo. « Il y a eu pendant deux, trois ans une conjonction de voix tout à fait originales qui se sont regroupées dans un mouvement à l’existence éphémère qui s’appelait Limite et dont j’ai été membre. Un recueil de nouvelles a été édité Malgré le monde (Ndlr : Denoël, 1987). C’était une tentative pour affirmer l’existence d’autres choses dans la SF française. Mais on a fabriqué un livre hermétique, qui était illisible en fait…. » » (voir biographie d’Antoine Volodine publiée dans Le Matricule des Anges, [n° 20, juillet-août 1997, p.ppp])
Pour mémoire :
Quatrième de couverture
Le jour où, doubles approximatifs de l’homme, ils décideront d’écrire, à quoi ressembleront leurs histoires ? Raconteront-ils leurs peines de cœur, un périple dans l’eau du gaz, une enfance hypothétique, les angoisses qui ensoleillent une vie plus ou moins quotidienne ? Inconnus aux mains de lumière, fils et filles castrés par leur avenir, zombis du rêve, pionniers du septième ciel, envahisseurs majuscules, jongleurs de blessures, éjaculateurs de mots, en tout cas, ils se regroupent… Quatorze nouvelles dont les auteurs sont les acteurs, humains ou à la limite. Malgré la lettre et les catégories. Malgré le monde !
L’auteur :
LIMITE. 1. N.f.pl. Qui travaillent là où s’arrête le travail des autres (La nuit, les hommes rôdaient dans ces rues troubles où officiaient Limite, Ch. Bignoux).
2. Adv. Dangereusement, excessivement, avec la volonté d’aller le plus loin possible (Il photographiait limite des couchants et levers. L.F. Céline).
3. Hist. Groupe d’amis officiellement constitué en apparence de mouvement le 13 décembre 1986.
Sommaire
- Préface de LIMITE, p. 9-11
- (Celle-ci) est pour mon père, p. 13-17 de [Jean-Pierre Vernay]
- Le Point de vue de la cafetière, p. 19-36 de [Francis Berthelot]
- Vision partiale de l’invasion partielle, p. 37-49 de [Antoine Volodine]
- Le Conquérant de la tête à viande, p. 51-59 de [Jacques Barbéri]
- Debout, les damnés de la Terre !, p. 61-73 de [Jean-Pierre Vernay]
- Autopsie d’un demi-vivant, p. 75-88 de [Emmanuel Jouanne]
- Lei, p. 89-96 de [Frédéric Serva]
- Les Vérités perdues, p. 97-111 de [Antoine Volodine]
- La Femme-myosotis et Jean Toucouleur, p. 113-118 de [Jean-Pierre Vernay]
- Le Parc zoonirique, p. 119-132 de [Francis Berthelot]
- Donald Duck chez les Hell’s Angels, p. 133-145 de [Emmanuel Jouanne]
- Le Parfum des vagues qui viennent mourir sur la place, un soir d’hiver frileux, p. 147-155 de [Frédéric Serva]
- Prisons de papier, p. 157-167 de [Jacques Barbéri]
- Dernier repas cannibale, p. 169-184 de [Lionel Évrard, suite du dyptique ici]
D’abord, parce que la nature même d’un groupe est de ne pas exister. Enfin, pas vraiment, au sens ou l’on peut dire d’un individu : il existe parce qu’il pense, écrit, ou s’enfile tant de canettes par jour.
Ensuite, parce que les contradictions y fleurissent comme l’ortie dans les cimetières de campagne, et que même si on en fait d’excellentes soupes, il n’est pas facile d’en dégager la philosophie, du moins pendant la cuisson.
Bref, les auteurs qui se reconnaissent sous ce nom ont essentiellement en commun leurs différences :
a) entre eux
b) avec un autre chose dont la définition risque d’être encore plus ardue que celle de Limite.
Cela n’est un paradoxe qu’en apparence.
Entre la littérature de science fiction et l’autre, la grande, celle qui porte une majuscule à chaque doigt, se trouve, selon les avis :
a) une interface, où planent pêle-mêle Boris Vian, Kafka, Burroughs, Buzzati, Ballard, Calvino… ;
b) une mince cloison, séparant les démons de Pierre des merveilles de Paul ;
c) un mur de béton fortifié de part et d’autre : à droite, la Hard Saïence, à gauche, le Rauman Psychologique ;
d) un no man’s land a peupler de toute urgence.
C’est ce qu’on peut appeler une situation Limite. D’autres diront un artefact sans importance. Les deux points de vue sont bien entendu valables. L’un des rares points communs qu’on puisse déceler chez nos auteurs n’est-il pas leur fascination pour l’instant ou une idée quitte le droit chemin pour se changer en lampadaire (ou l’inverse) ?
Des Limites plus perfides se sont développées au fil des siècles, et il continue d’en pousser chaque jour dans nos jardins.
Par exemple, entre la plate-bande « Essai », sa voisine « Roman », et la petite, la-bas au bout, qu’on intitule en fronçant le nez « Poésie ». Rien qu’avec ces trois mauvaises graines, on alimente les polémiques des cloisonnistes pour vingt générations. Sans compter celles de nos consciences. A partir de quel moment un écrivain cesse-t-il de parler de ses glandes pour raconter une histoire ? Celle-ci est-elle meilleure si, habilement camouflé derrière ses personnages, il y parle en catimini des dites glandes ? Quand s’interrompt-il pour réfléchir, non sur l’imposture qu’il commet, mais sur son résultat ? Et a quel instant, diabolique entre tous, franchit-il la Limite suivante pour réfléchir sur sa propre réflexion ?…
Tout cela n’est que roupie de sansonnet.
La vraie Limite, la grande, la chienne, c’est celle qui sépare l’auteur A de son cousin B, les différencie de C et (horreur !) de D, celle qui oppose le vécu des uns aux mots qu’emploient les autres, celle qui résulte des variations graves ou frivoles qu’ont suivi leurs neurones depuis leur naissance. Frontière salutaire, certes, puisqu’elle crée la différence de potentiel d’où naît le désir, mais meurtrière en ce qu’elle renvoie chacun a son incompréhension foncière.
D’où l’absurdité totale de toute démarche visant a fonder un groupe d’écriture.
D’où le bonheur unique, explosif, qu’on éprouve a en fonder un.
Le lecteur peut-il partager ce bonheur ? Tel dira que c’est son problème, et qu’on n’est pas chargé de son Ame, Tel autre qu’il faut au contraire en prendre grand soin, le pauvre chat, si seul, si vulnérable derrière cette ultime Limite qu’est la page du livre qu’il est en train de lire, et qui le sépare irrémédiablement de ceux qui l’ont écrit, alors même qu’elle cherche a l’en rapprocher.
Ou l’inverse, bien sûr, encore une fois.
Article d’André-François Ruaud (Fiction 398, 1er juin 1988, mise en ligne 24 mars 2002 sur NooSphère)
Mais le mouvement Limite manque son coup. La critique non spécialisée feint de ne prêter aucune attention à Malgré le monde, un projet auquel elle ne comprend rien. Et le milieu de la science-fiction, désespérément petit, critique vertement l’ouvrage. Quinze ans après, il n’est pas rare de voir ce collectif encore bien sottement désigné comme responsable de la débâcle française dans la décennie qui suivra.
Une seconde anthologie est mise en chantier par Emmanuel Jouanne, élargie à de nouveaux auteurs… mais le mouvement Limite, avec la discrétion qui s’impose, opte pour l’autodissolution.
Limite est sans doute apparu dix ans trop tôt. Dans les années quatre-vingt, la science-fiction traîne une réputation de sous-littérature, contrairement au polar, considéré depuis longtemps comme une composante essentielle de la littérature contemporaine. Dans ce contexte, prétendre la rapprocher de la littérature générale a un prix : l’abandon de tout ce qui fait la spécificité du genre. En somme, une fusion par intégration, par absorption, par renoncement. Un prix à payer inacceptable.
Au sein de Limite évoluaient des personnalités marquées, venant d’horizons différents, n’ayant en commun que le talent et la volonté de pratiquer la littérature comme un choix de vie.
Certains de ses membres poursuivent des carrières fort honorables. Emmanuel Jouanne a commencé par publier des nouvelles aux Éditions de Minuit, puis est devenu l’un des auteurs les plus brillants de sa génération avec, en particulier, Nuage (1983). L’itinéraire d’Antoine Volodine apparaît inverse : après avoir publié quatre romans en Présence du futur, il part chez Minuit puis chez Gallimard. Venu des sciences «exactes», Francis Berthelot a fait un petit tour dans la science-fiction avec quelques romans splendides comme Rivage des Intouchables (1990), est passé par l’essai, a changé de spécialité au CNRS, pratique désormais une littérature sans étiquette. Jean-Pierre Vernay a publié de nombreuses nouvelles d’une relative orthodoxie – il fut peut-être le moins téméraire du groupe mais non le moins appréciable – avant de s’orienter vers le journalisme scientifique. En marge de Limite, Jacques Barbéri a développé une œuvre extrêmement personnelle et parfaitement inclassable, avant de se reconvertir dans l’écriture de scénarios pour la télévision. (…)