Antoine Volodine et les voix du post-exotisme / colloque sous la direction de Frédérik Detue et Lionel Ruffel, avec la participation d’Antoine Volodine, 12-19 juillet 2010, Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle.
- Le programme du colloque et les résumés des interventions proviennent du site du Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle.
- La copie pour mémoire ci-dessous a été mise à jour après le colloque.
- Les Actes font l’objet d’une notice indépendante.
- La participation de Nicole Caligaris a été partiellement publiée dans le site Sitaudis sous le titre « Volodine ou Mille centres de forces » (voir notre notice)
Pour mémoire :
DU LUNDI 12 JUILLET (19 H) AU LUNDI 19 JUILLET (14 H) 2010
Avec la participation d’Antoine VOLODINE
ARGUMENT :
L’œuvre de fiction d’Antoine Volodine construit une fiction d’œuvre, dont elle a même forgé la théorie. Elle constitue donc un objet difficile à identifier : quel usage critique et théorique faire des notions qu’elle crée pour se définir, à commencer par celle de « post-exotisme » ? Même la place, pourtant essentielle, qu’on lui accorde dans le paysage littéraire français actuel paraît problématique, puisque le post-exotisme se donne pour une « littérature étrangère en français » ou encore une « littérature des poubelles ».
Le questionnement sur la situation de l’œuvre, sa fonction critique, le jeu avec son intertexte, ne peut faire l’économie de son rapport, étroit, à l’histoire catastrophique du XXe siècle. Étant donné l’échec révolutionnaire qui hante le post-exotisme, que reste-t-il de l’articulation moderne entre la littérature et la politique ? Cet échec apparaît comme un trauma qui laisse le monde livré à la passion humaine de l’autodestruction, au désespoir, à « l’humour du désastre ». Mais on peut observer des résistances : les « engagés écrivains » du post-exotisme témoignent, sabotent le réel en usant du merveilleux… L’écrivain oppose-t-il alors à sa vision d’apocalypse un idéal (ou une nostalgie d’idéal) ?
PROGRAMME :
Lundi 12 juillet
Après-midi :
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée:
Présentation du Centre, des colloques et des participants
Mardi 13 juillet
Matin:
Anne ROCHE, Lionel RUFFEL, Frédérik DETUE : 1985-2009, Histoire d’une réception (88 min.)
Écouter
Pierre OUELLET : Poétique de l’être-contre: portrait en négatif de la communauté post-exotique (61 min.)
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Après-midi :
Antonin WISER : Espace(s) utopique(s) de la littérature: Volodine / Adorno Un archipel post-exotique, essai de lecture géo-critique de Des anges mineurs (60 min.)
Écouter
Simon SAINT-ONGE : Quelques détails sur l’âme des faussaires: l’antithèse commune de la communauté (40 min.)
Écouter
Sylvie SERVOISE : Présentisme et post-exotisme : les frères ennemis (66 min.)
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Soirée:
Lecture d’Antoine VOLODINE : Rentrée littéraire post-exotique (81 min.)
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Mercredi 14 juillet
Matin :
Philippe ROUSSIN : Le pouvoir selon Antoine Volodine (81 min.)
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Mélanie LAMARRE : Antoine Volodine et la fiction idéologique (75 min.)
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Après-midi:
Thierry SAINT-ARNOULT : De l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette : Antoine Volodine et Lutz Bassmann, signatures post-exotiques (73 min.)
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Guillaume ASSELIN : La prairie des images. Pour une fantastique transcendantale (76 min.)
Écouter
Soirée :
Projection de Mission fantôme de Christine PALMIERI
Jeudi 15 juillet
Matin :
Frank WAGNER : Qui maintenant ? (Des voix post-exotiques : essai de poétique) (70 min.)
Écouter
Bruno BLANCKEMAN : La charge de la brigade légère (l’humour dans l’œuvre de Volodine) (76 min.)
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Après-midi :
DÉTENTE
Vendredi 16 juillet
Matin :
Anne ROCHE : Volodine, théâtre (67 min.)
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Nota Bene : Anne Roche traite en partie de deux pièces radiophoniques disponibles dans le PPE sous le titre « Sœurs de sang » : Le silence de Myriane Marane et Outrage à mygales. (90 min.)
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Audrey CAMUS : Le roman selon Volodine (69 min.)
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Après-midi :
Gaspard TURIN : La stratégie du silence dans « La stratégie du silence dans l’œuvre de Robert Malipiero » d’Antoine Volodine (52 min.)
Écouter
Dominique SOULÈS : Vocables mystérieux et langue facétieuse (ou vice-versa) chez Antoine Volodine (48 min.)
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Claire CALAND : Conjugaison et désaccords volodiniens (56 min.)
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Soirée:
Table ronde : Lire le post-exotisme, avec Arno BERTINA et Nicole CALIGARIS, animée par Anne ROCHE (86 min.)
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Samedi 17 juillet
Matin :
Jean-Pierre VIDAL : La stase apocalyptique ou l’après indéfini (54 min.)
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François BIZET : Crise sans sortie, apocalypse sans royaume, fin sans fin Le temps enrayé (64 min.)
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Après-midi :
Patrick REBOLLAR : Onirologie post-exotique (54 min.)
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Valéry KISLOV : Traduire Volodine en russe (63 min.)
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Brian EVENSON : Traduire Volodine en américain (32 min.)
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Table-ronde traduction : avec Mirka CEVCIKOVA, Valéry KISLOV et Brian EVENSON, animée par Frédérik DETUE (41 min.)
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Dimanche 18 juillet
Matin :
Joëlle GLEIZE : Les pratiques éditoriales de Volodine : postures d’auteur et fiction Dispositifs romanesques et mises en livre post-exotiques (71 min.)
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Annie ÉPELBOIN : L’utopie de la fin et la fin de l’utopie (71 min.)
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Après-midi :
Catherine COQUIO : Du « merveilleux » lazaréen à la mythologie post-exotique : péripéties d’un refus de témoigner (71 min.)
Écouter
Frédérik DETUE : Post-exotisme et tradition littéraire (71 min.)
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Lundi 19 juillet
Matin :
Conclusions générales et débat + lecture surprise (106 min.)
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Après-midi:
DÉPARTS
TITRES des COMMUNICATIONS (ordre alphabétique des auteurs) :
Guillaume ASSELIN : La prairie des images. Pour une fantastique transcendantale
François BIZET : Crise sans sortie, apocalypse sans royaume, fin sans fin
Bruno BLANCKEMAN : La charge de la brigade légère
Claire CALAND : Conjugaison et désaccords volodiniens
Audrey CAMUS : Le roman selon Volodine
Catherine COQUIO : Du « merveilleux » lazaréen (J. Cayrol) à la mythologie post-exotique : péripéties de l’utopie post-testimoniale
Frédérik DETUE : Post-exotisme et tradition littéraire
Annie ÉPELBOIN : La fin de l’utopie et l’utopie de la fin : les écrivains russes post-évolutionnaires et Volodine
Joëlle GLEIZE : Dispositifs romanesques et mises en livre post-exotiques
Valeri KISLOV : Traduire Volodine en russe
Mélanie LAMARRE : Antoine Volodine et la fiction idéologique
Philippe MESNARD : Qu’est-ce qu’une écriture d’après? Comment l’œuvre d’Antoine Volodine répond-elle à cette question?
Pierre OUELLET : Post-exotisme et post-histoire : figures de l’ailleurs et de l’après
Patrick REBOLLAR : Onirologie post-exotique
Anne ROCHE : Volodine, théâtre
Philippe ROUSSIN : Le pouvoir selon Antoine Volodine
Lionel RUFFEL : 1985-2009 : Histoire d’une réception
Thierry SAINT-ARNOULT : De l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette: Antoine Volodine et Lutz Bassmann, signatures post-exotiques
Simon SAINT-ONGE : Quelques détails sur l’âme des faussaires : l’antithèse commune de la communauté
Sylvie SERVOISE : Présentisme et post-exotisme : les frères ennemis
Dominique SOULÈS : Vocables mystérieux et langue facétieuse (ou vice-versa) chez Antoine Volodine
Gaspard TURIN : La stratégie du silence dans « La stratégie du silence dans l’œuvre de Robert Malipiero » d’Antoine Volodine
Jean-Pierre VIDAL : La stase apocalyptique ou l’après indéfini
Jean-Bernard VRAY : Le motif de l’oiseau et son évolution dans l’œuvre de Volodine
Frank WAGNER : Qui maintenant? (Des voix post-exotiques : essai de poétique)
Jean-Didier WAGNEUR : Volodine à vau l’eau
Antonin WISER : Un archipel post-exotique, essai de lecture géo-critique de Des anges mineurs
RÉSUMÉS :
Guillaume ASSELIN : La prairie des images. Pour une fantastique transcendantale
La conception du monde, tout au long de l’histoire, n’aura cessé de se polariser entre deux extrêmes, mutuellement exclusifs. Au monde des sens, objet de perception et d’observation scientifique, s’oppose systématiquement un « monde des idées« , dont l’accès est réservé à l’Intellect. Or, entre ce monde purement physique et cet « autre monde » idéel, plusieurs traditions spirituelles font s’insérer un monde intermédiaire, mundis imaginalis, qui permet de penser l’articulation entre les deux. Mi-sensible, mi-intelligible, il n’est perceptible qu’à l’imagination créatrice, visionnaire, et suppose donc un autre mode de perception que celui auquel nous a réduit notre conscience historique matérialiste et unidimensionnelle. J’aimerais ici analyser la façon toute singulière dont l’univers volodinien convoque et met en œuvre cette métaphysique figurative des mondes intermédiaires — dont témoignent par ailleurs les mystiques et les écrivains de tous temps — à travers les références faites au voyage chamanique, à l’onirisme surréaliste et au bardo bouddhiste, paradigme de cet « intermonde » auquel Henri Corbin donnait le nom d’imaginal. Il s’agit, du même coup, de contribuer au renouvellement de la théorie de l’imagination transcendantale en l’appréhendant sous l’angle proprement littéraire d’une « fantastique transcendantale », suivant le mot de Novalis.
François BIZET : Le temps enrayé
Quelle est la nature de la reprise, dans le livre de Lutz Bassmann, Avec les moines-soldats, de « Crise au Tong Fong Hotel », moment critique où se déchaînent pour aussitôt s’apaiser, dans une apocalypse sans royaume, les puissances de vie et de mort? « La Crise a remplacé la Fin, […] la Crise est devenue transition sans fin », notait Paul Ricœur à propos de la métamorphose, depuis la folie de Lear, du paradigme biblique. Pourtant, à s’en tenir aux statuts théologique ou littéraire du mythe de l’apocalypse, Ricœur n’a pu que manquer la nouveauté de la situation de l’homme d’après 1945. Je voudrais donc lire cette reprise post-exotique à la lumière d’une autre analyse, celle de Günther Anders, et des concepts qu’il propose: l’ »apocalypse nue » et le « temps de la fin » permettront, je crois, d’éclairer la spécificité de ce Temps définitif — temps enrayé, sans forme et sans déroulement, car sans cesse menacé d’anéantissement intégral — qui est le Temps propre du ressassement.
Références bibliographiques :
« Postérité de L’Espèce humaine », French Forum, n°33/3, Fall 2008, University of Nebraska Press, Philadelphia [pp. 55-68].
« Post-exotisme: leçons zéro. Les fictions d’Antoine Volodine », Etudes françaises, n°16 (janvier 2009), Université de Waseda, Tokyo [pp. 27-47].
Bruno BLANCKEMAN : La charge de la brigade légère (l’humour dans l’œuvre de Volodine)
On s’intéressera à l’ombre qui double l’écriture romanesque d’Antoine Volodine tantôt à grandes enjambées tantôt à l’encre sympathique: l’humour. On tentera d’en étudier les marques stylistiques (textuelles, intertextuelles), les effets esthétiques (insolite/inconvenance/incongruïté), les fins politiques (charge, mine). S’il est dans la tradition littéraire un humour de défense — esprit de conservation, blindage des corps constitués —, il est aussi un humour d’offense — à l’attaque — et d’offensive — opération table rase. Quelles sont leurs parts respectives dans l’œuvre, entre l’humour qui vient comme une ceinture, ou un souterrain, supplémentaire, tout en chausse-trapes, doubler (égal dupliquer par le fun) l’univers post-exotique et celui qui, s’exerçant aux dépens des instances susceptibles d’ériger cet univers, d’en faire une place-forte (récit, histoire, auteur) ne cesse de le doubler (à sa gauche, le dépasser, le trahir, le gauchir)? La réflexion proposée s’appuiera sur un choix de romans qui (c)ouvriront l’œuvre de ses débuts à aujourd’hui.
Claire CALAND : Conjugaison et désaccords volodiniens
Temps décomposés, suppression de l’infinitif pour ouvrir le sens de la phrase, impératifs totalitaires (du côté du pouvoir) ou à tonalité surréaliste (du côté des dissidents), passé consumé et futur impossible sont les modalités du « vindicatif présent » qu’identifie Pierre Ouellet dans l’œuvre d’Antoine Volodine. Si l’on a maintes fois signalé la force de la surnarration — qui entre en conflit avec les règles d’accord familières — elle vient aussi désaccorder l’ensemble des traits grammaticaux utilisés pour inventorier les variations de la forme verbale. Nul n’en ressort indemne, de la personne ou du genre, de la voix ou du mode. L’accompli et l’inaccompli se confondent aussi sûrement que le « il » et le « elle » sont interchangeables; sous l’influence du surréalisme, le « il était une fois » des contes se mue en « il y aura une fois ». Si la conjugaison répertorie des variations verbales en fonction des circonstances, si elle cisèle la langue pour en exprimer toutes les subtilités, Volodine s’en joue assurément (la part ludique est indéniable) au-delà de la puissance politique qui guide ses choix narratifs.
Audrey CAMUS : Le roman selon Volodine
En dépit de la remarquable inventivité formelle qui caractérise la pratique de l’auteur, et de quelques incartades éditoriales, les textes signés Antoine Volodine paraissent généralement sous la mention « roman », ce qui subordonne de facto ses diverses créations au genre. Au nombre de celles-ci figure par ailleurs le romance, que les écrivains post-exotiques affirment avoir inventé pour ne pas être mêlés aux tentatives de rénovation du roman ayant cours au-delà des murs de leur univers carcéral. On peut se demander si l’écriture volodinienne, volontiers agonistique, ne renouvelle pas la forme romanesque tout en lui tournant résolument le dos. C’est la nature de ce renouvellement marginal et autarcique qu’il s’agira d’interroger, dans la tension qu’il instaure avec les formes brèves, la poésie ou le théâtre, mais aussi dans ce qui fait de l’œuvre une œuvre fondamentalement romanesque.
Frédérik DETUE : Post-exotisme et tradition littéraire
Il s’agit de comprendre l’idée de « post-exotisme » avancée par Antoine Volodine pour déterminer son œuvre. Je propose de montrer qu’elle vient définir rétrospectivement une tradition littéraire née au XXe siècle d’une confrontation de la littérature à l’histoire – du fait notamment de l’échec du communisme. Qu’est-ce qui permet en l’occurrence de parler de « tradition », et qu’est-ce que cette tradition fait à la littérature? Dans le même temps qu’elle fabrique cette tradition, l’œuvre de Volodine en recueille l’héritage de façon singulière; je m’intéresserai à cette singularité, tout en me demandant en quoi elle est exemplaire aujourd’hui.
Annie ÉPELBOIN : L’utopie de la fin et la fin de l’utopie
Questionner l’ambivalence de la post-utopie volodinienne oblige à réentendre — à travers ses textes — les voix d’auteurs russes méconnus, qui ont porté témoignage du traumatisme social engagé par la Révolution. Témoins sublimes car opérant la synthèse d’injonctions de l’éthique et de l’écriture situées sur des vecteurs opposés: aller à la fois jusqu’au bout de l’abîme et jusqu’au bout du rêve. Ils ont rendu compte d’un espace-temps où l’humanité s’est boutée hors d’elle-même, pour épancher dans le réel le rêve transnational d’un bonheur commun, croyant échapper à l’horreur tout en la redéployant. L’onirisme tragique qu’instaure ce dialogue se fonde sur la traversée de la fin et la dislocation du rêve.
Références bibliographiques :
E. Zamiatine, Le récit du plus important, trad. par J. Catteau, Lausanne, L’Age d’Homme, 1989.
E. Zamiatine, Nous autres, tr. par B. Cauvet-Duhamel, Paris, « L’Imaginaire » Gallimard, 1971.
A. Platonov, Tchevengour, tr. par L. Martinez, Paris, Robert Laffont, 1996.
A. Platonov, Le Chantier, tr. par L. Martinez, Paris, Robert Laffont,1997.
A. Platonov, Djann, tr. par L. Nivat, Lausanne, L’Age d’Homme, 1972.
Joëlle GLEIZE : Les pratiques éditoriales de Volodine : postures d’auteur et fiction
Le post-exotisme est un univers imaginaire fait de livres et de papier (on laissera de côté, provisoirement, l’univers dramaturgique). On voudrait étudier sa base matérielle et les liens étroits qu’entretient l’œuvre d’Antoine Volodine avec les éléments de la réalité éditoriale. A partir du constat de l’écart entre le parcours de légitimation accompli dans la
littérature actuelle et la thématique omniprésente dans son œuvre de la dissidence, on s’intéressera aux interactions entre le statut d’auteur dans et hors de l’univers fictionnel: intégration à la fiction de nombre des éléments de l’institution littéraire et construction d’un univers autonome et en apparence sans dehors.
Mélanie LAMARRE : Antoine Volodine et la fiction idéologique
Subvertissant les codes du roman à thèse, Antoine Volodine met au jour les apories des idéologies marxistes qui, en dépit de leur prétention à la rationalité et à la vérité, relevaient du domaine du narratif et du fictionnel bien plus que du domaine scientifique. Faisant le procès de la « fiction idéologique », la fiction volodinienne restitue cependant aux utopies collectives leur part de grandeur et de beauté: le marxisme possédait tous les attraits d’un grand récit épique et poétique qui promettait à l’humanité d’en finir, pour toujours, avec la souffrance terrestre. Entre « révolution impossible » et « révolution trahie », les romans d’Antoine Volodine oscillent entre la critique et la mémoire du passé. Ils sont en cela homologiques d’un état de l’imaginaire social avec lequel ils prétendent pourtant n’avoir rien en commun.
Philippe MESNARD : Qu’est-ce qu’une écriture d’après? Comment Antoine Volodine répond-il à cette question?
Admettant que la question contemporaine de la destruction — ce qu’elle désigne, mais aussi quelles figures, parfois allégoriques, elle revêt — comprend Auschwitz sans pour autant s’y limiter, la question que je voudrais poser à l’œuvre d’Antoine Volodine est la suivante: a-t-on affaire à une écriture d’après (dans les deux sens du terme) la question de la catastrophe? En quoi y a-t-il avec cette écriture une rupture ou une évolution significatives qui permettent de la qualifier ainsi? Mais aussi — en supposant qu’il y aura dialogue avec l’œuvre — comment celle-ci permet-elle de réajuster cette question, de la mieux formuler? Car ainsi l’écriture et l’œuvre de Volodine viendraient aider à définir ce qu’est une écriture d’après.
Patrick REBOLLAR : Onirologie post-exotique
Loin des romans truffés d’artificiels songes pour psychanalystes qui polluent la littérature depuis plus d’un siècle, les récits post-exotiques semblent redonner au rêve une liberté irréaliste et un dynamisme narratif qui n’appartenaient plus que, rarement, au cinéma et aux contes pour enfants. Le lecteur stupéfié passe le mot au chercheur, qui veut aller au-delà… Mais, se demande ce dernier, comment pourrait être dressée une typologie — quantique ? magique ? — qui ne serait pas fatale à la beauté et à la littérarité des œuvres ?
Anne ROCHE : Volodine, théâtre
Antoine Volodine est surtout connu pour ses romans, ou pour des textes narratifs qui relèvent d’un genre de son invention (entrevoûtes, narrats, murmurats…). Pourtant, dès 2001, il compose huit pièces radiophoniques, quatre d’entre elles seront récrites sous forme romanesque dans Bardo or not Bardo. D’autre part, ses dernières œuvres s’orientent vers un genre encore différent, lié au travail de la voix et à la musique : il écrit un « cantopéra », Vociférations (2004, en collaboration avec le compositeur Denis Frajerman), adapte pour le théâtre Slogans de Maria Soudaïeva (2007) qu’il avait déjà traduit (2004), enfin écrit directement pour la scène un texte encore inédit qui sera créé en 2010. De façon générale, et quel qu’en soit le genre, chacun de ses textes tend vers le théâtre, sous un double aspect : travail de la voix, non seulement sous la forme classique de dialogues ou de monologues, mais sur le « grain » de la voix, dans sa dimension mélodique et harmonique, et travail sur la structure dramatique de la scène.
Philippe ROUSSIN : Le pouvoir selon Antoine Volodine
Dans les récits d’Antoine Volodine, le passé est le temps du politique; le présent est un état scindé entre le temps du pouvoir qui a mis fin au politique et le temps de la littérature post-exotique. Parce que le pouvoir est identifié à ce qui interdit toute possibilité et toute représentation du présent et du futur, la littérature post-exotique se confond avec une science-fiction rétrospective. Par le fait du pouvoir, elle égale le récit à un roman du passé — le seul temps auquel elle a accès. Elle fait du roman ce qui dit un passé radicalement séparé du présent, dans le présent, une manière d’absolue différence temporelle. Cette altérité relative au temps est aussi altérité relative à l’espace et à l’agent. La littérature post-exotique prend en compte les conditions de sa diffusion, c’est-à-dire de sa manipulation: face aux questions et aux interrogatoires du pouvoir, elle sait construire un passé modifié d’images et de souvenirs. Le récit qui est, par principe, récit de l’expérience de l’inexpérience, devient celui du radicalement autre dans l’Histoire, hors de notre expérience par définition. La littérature ici ne cherche pas à réduire l’improbabilité de toute communication ni à asseoir sur la réduction de cette improbabilité son autorité. Elle traite de ce qui ne peut être un objet de connaissance, ce qui n’est pas identifiable comme tel. Elle se donne très librement les techniques et les figures de toute improbabilité de la communication par le jeu de l’indécidable. Par là-même, elle s’oppose à l’idéologie du pouvoir de la littérature.
Lionel RUFFEL : 1985-2009, Histoire d’une réception
L’image d’un auteur (ou celle d’une œuvre) est indiscutablement le fruit d’une élaboration collective: elle relève tout à la fois de logiques internes (les textes, les textes d’accompagnement) et de logiques externes (critique journalistique, critique savante, apparition du corps de l’auteur sur des photographies, dans l’espace public). Evidemment, ces deux logiques ne doivent pas être confondues et ne sont pas situées sur le même plan. Mais elles sont intriquées, elles communiquent, directement ou indirectement. Cette intrication, cette communication sont d’autant plus productives que l’œuvre en question est métacritique ou qu’elle produit elle-même son commentaire. C’est particulièrement le cas de celle d’Antoine Volodine. On aimerait donc, lors de cette présentation, observer le champ de réception du post-exotisme sur une période longue, vingt-cinq ans, en relation avec les postures d’auteurs manifestées dans les textes eux-mêmes. Cette perspective nous donnera ainsi l’occasion d’un bilan critique.
Thierry SAINT-ARNOULT : De l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette : Antoine Volodine et Lutz Bassmann, signatures post-exotiques
Avec la publication chez Verdier en 2008 de Haïkus de prison et de Avec les moines-soldats, Antoine Volodine opte pour une nouvelle signature post-exotique déjà connue des lecteurs puisque le nom de Lutz Bassmann figurait parmi les huit co-signataires du Post-exotisme en dix leçons, leçon onze paru chez Gallimard en 1998. Ce choix marque une nouvelle étape dans la stratégie de dissémination éditoriale entamée avec la publication à L’école des loisirs d’ouvrages signés Elli Kronauer et Manuela Drager. Par ailleurs, on avancera que la signature Lutz Bassmann occupe une place essentielle dans l’édifice post-exotique puisque Antoine Volodine semble décidé à publier ses prochains ouvrages sous cette signature, occultant, au moins pour un temps, la signature originelle et fondatrice du post-exotisme. Il semble donc fécond de s’interroger sur la place occupée par Lutz Bassmann au cœur de ce dispositif.
Simon SAINT-ONGE : Quelques détails sur l’âme des faussaires : l’antithèse commune de la communauté
Avec le post-exotisme vient d’une façon quasi systématique la question de la communauté. Il s’agit le plus souvent d’interroger la problématisation d’un esthétisme à l’accent idéologique, qui entretiendrait un rapport d’opposition sinon d’autonomie à l’égard du monde empirique. Or, l’idée ou plutôt le sens de la communauté ne s’épanche pas seulement dans les délimitations d’un regroupement donné, dont l’idéologie serait par exemple le principe de cloisonnement. La communauté est également l’histoire « en tant qu’un certain espacement du temps, qui est l’espacement d’un nous »1. Ce « nous » conjugue sans niveler des antinomies structurales qui, en comparaissant, résident au cœur du partage de cet espacement. En d’autres mots, l’histoire est le monde où se joue le partage entre des singularités ontologiques constitutives d’un ensemble à penser non pas comme une intériorité commune, mais bien comme une kyrielle d’extérieurs où viennent s’exposer ces singularités. Envisager cette perspective ouvre la voie à une heuristique de l’histoire, qui autorise de se poser à nouveau frais non seulement la question de la communauté chez Antoine Volodine, mais également celle de la tranche d’historicité que modalise l’écrivain.
Lisbonne dernière marge offre les termes nécessaires pour réinvestir ces deux questions, en présentant l’histoire comme un « paysage » dont les marges sont « communes aux uns et aux autres », et ce, jusqu’à sous-entendre une « identité de pensée et de destin »2 entre des singularités antinomiques entre elles, comme ces amants que sont Kurt, policier, et Ingrid, membre de la RAF. Or, si la littérature est le partage de la communication que les amants — en tant que limite extrême de la communauté — exposent au-dehors comme le veut Nancy à la suite de Bataille, qu’implique l’impossibilité d’exposer une telle union pour une littérature que cette impossibilité détermine? On fera l’hypothèse qu’une telle littérature conduit l’idée de partage, consubstantielle à celle de la communauté, du côté de la dislocation de l’espacement temporel qu’est l’histoire. Car seuls les divisions et le revers de ces fractures qui zèbrent cet espacement sont communiqués par Quelques détails sur l’âme des faussaires, avec tout ce que cela implique pour l’existence de la communauté. L’ouvrage d’Ingrid prononce la délocalisation, l’errance de ces singularités disjointes dans des lieux qui n’en sont pas, dans un espacement temporel qui est l’envers de l’histoire. Ainsi, on aura à s’interroger sur une littérature qui est non pas du côté de ce que Nancy nomme par provocation « le communisme littéraire », mais, pour paraphraser une formule adornienne, l’expression de l’antithèse commune de la communauté3, donc de l’histoire.
1 Jean-Luc Nancy, La communauté désœuvrée, Paris, Christian Bourgois Editeur, 2004, p. 261.
2 Antoine Volodine, Lisbonne dernière marge, Paris, Minuit, 1990, p. 174.
3 La formule exacte d’Adorno est : « l’art est l’antithèse sociale de la société ».
Sylvie SERVOISE : Présentisme et post-exotisme : les frères ennemis
L’usage pluriel dont fait aujourd’hui l’objet le mot « présentisme » est inversement proportionnel à la saisie de la notion: loin d’être une ode joyeuse à l’ici et maintenant, le présentisme serait, selon la définition originelle qu’en donne François Hartog1, un temps inquiet, vécu sous le signe d’une double dette, à l’égard d’un passé honteux et d’un futur menaçant. C’est dans cette perspective que nous traiterons des liens qui peuvent unir le présentisme à l’œuvre d’Antoine Volodine, avec l’exigence de ne pas réduire les complexités de l’un et de l’autre aux besoins de la démonstration. On verra plus précisément comment il est possible de lire, dans le rapport contrasté que l’œuvre volodinienne entretient avec le régime présentiste, l’expression d’une dissidence de nature politique et idéologique: contre les fictions et réécritures de l’histoire, la fiction post-exotique impose paradoxalement son droit à rétablir la vérité, tandis que l’attention au texte perdu du passé se double d’une volonté farouche de ne pas archiver l’histoire. Ce geste de redéploiement du temps pourrait même constituer le seul moyen de transformer en action ce qui apparaît en premier lieu comme simple réception, de résister à l’effet d’un présentisme qui risque de figer le contemporain dans la posture paralysante de l’héritier. En ce sens, l’œuvre volodinienne, tout en partageant certaines préoccupations d’époque que nous pouvons associer au régime présentiste, ne se contente pas de les retourner contre elles-mêmes en en soulignant les failles et les limites: elle leur apporte en même temps une réponse.
1 François Hartog, Régimes d’historicité : présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », 2003.
Dominique SOULÈS : Vocables mystérieux et langue facétieuse (ou vice-versa) chez Antoine Volodine
Dès Biographie comparée de Jorian Murgrave (1985), la langue s’invite au cœur de la fiction volodinienne par la présence d’un dictionnaire pourtant presque invisible puisque simple accessoire scolaire. Mais cet opus est récurrent dans le post-exotisme au point de faire signe, invitant le lecteur à s’arrêter sur son utilité, son contenu, sa constitution — bref, à s’interroger sur la (les) langue(s). Parmi ces fictions hantées par la langue, Le nom des singes (1994) et Le port intérieur (1996) sont particulièrement précieuses puisque l’une et l’autre donnent à lire une trame linguistique qui double en filigrane celle du roman plus immédiatement visible: dans les deux cas, mémoriser une langue étrangère c’est avoir la vie sauve! Être attentif à ces scènes diverses éparpillées dans l’édifice volodinien et distribuées entre différents personnages, permet donc non seulement de se remémorer certains mécanismes linguistiques utilisés lors de l’adresse à l’autre, mais aussi de s’interroger sur leurs usages et surtout leurs mésusages, comme dans les régimes dictatoriaux. Ne se contentant pas de fictionnaliser certains moments de l’Histoire, Antoine Volodine place véritablement le lecteur en situation, le met aux prises avec la langue et via quelques pratiques langagières rusées, il lui offre de lui-même un portrait en linguiste chahuté… Ce retour sur la langue n’est pas le moindre intérêt de ces œuvres romanesques pour les êtres de parole que nous sommes tous.
Gaspard TURIN : La stratégie du silence dans La stratégie du silence dans l’œuvre de Robert Malipiero d’Antoine Volodine
Volodine est un auteur qui fait un usage fréquent de la liste, laquelle a diverses fonctions. Synthétiquement, on peut subdiviser ces fonctions en deux groupes, positif et négatif. Dans sa fonction négative, la liste met en pratique l’adage, figurant dans la Leçon onze, des protagonistes volodiniens acculés au dialogue par le contexte agonistique dans lequel ils baignent, et pour qui il s’agit de « parler d’autre chose ». Cet acte de communication négative est un amenuisement du langage, une régression, un pis-aller avant le silence, un geste final. Mais dans le même mouvement, la liste est un « savoir-survivre », une tekhnè de tergiversation, une parole qui se développe malgré tout. On touche alors à sa fonction positive, où apparaît une jouissance rabelaisienne du langage, tirée en direction de son signifiant, une proclamation de la vitalité de celui-ci. Dans ce sens, la liste est donc également un geste inaugural et une matrice romanesque. L’illustration qui servira d’exemple à mon propos sera la liste des « Wolff » dans « La stratégie du silence » de Robert Malipiero. Pour terminer, je citerai (brièvement) d’autres auteurs contemporains, comme E. Chevillard ou P. Senges, afin d’observer en quoi les observations précédentes peuvent être exportées, et combien cette pratique de liste — marginale et douteuse au sein de la fiction — offre de correspondances avec le travail de nombreux penseurs de notre contemporain.
Jean-Pierre VIDAL : La stase apocalyptique ou l’après indéfini
L’épuisement des sens, pas seulement politiques, qui semble caractériser l’apocalypse figée du post-modernisme trouve dans l’œuvre de Volodine son « réactif », au sens quasi chimique du terme. Fichée dans les certitudes dilettantes de notre présent sans durée, cette entreprise de résistance y fait sursaut de sens, dans la fidélité, maintenue jusqu’à l’autodérision, à une certaine idée de l’homme, de la littérature, de l’écriture. Peut-être s’agit-il, dans l’espace littéraire, de redonner du temps au temps, de faire de la paradoxale flèche de l’écriture un éternel recommencement, quelque chose comme le contraire — et la réciproque — du « moteur immobile » d’Aristote revu par Diogène. Description d’un texte militant et viral (Songes de Mevlido, entre autres œuvres).
Jean-Bernard VRAY : La figure de l’oiseau dans l’œuvre de Volodine
Anne Roche a montré le lien entre la figure de l’animal et le motif de l’exclusion. Lionel Ruffel dans Volodine post-exotique repère l’oiseau comme « un des animaux phares du bestiaire post-exotique ». Thierry Saint-Arnoult désigne dans sa thèse une évolution, reconnue par Volodine: plus on avance dans l’œuvre, moins les oiseaux seraient investis de « positivité ». J’envisage de configurer l’oiseau par rapport à d’autres figures importantes de l’animalité: blatte, éléphant, araignée, et par rapport à d’autres figures ascensionnelles (cf. le dirigeable dans Vue sur l’ossuaire et Dondog). Je souhaite étudier les différentes occurrences de l’oiseau: oiseau solitaire, sociétés d’oiseaux, formes de l’hybridation homme/oiseau… Je m’interrogerai sur l’évolution et la portée axiologique de cette figure.
Frank WAGNER : Qui maintenant ? (Des voix post-exotiques : essai de poétique)
Soucieux d’éviter une reprise littérale de l’intitulé du colloque, j’ai prélevé l’attaque de L’Innommable de Samuel Beckett (il est pire compagnonnage) en guise de titre de cette communication, qui consistera en un essai de poétique, consacré à la notion de voix narrative dans l’univers post-exotique. En effet, parmi les spécialistes de cette œuvre, c’est désormais un truisme que d’affirmer que la voix (conçue comme origine énonciative) y est constamment et systématiquement brouillée. Reste à tenter, avec quelque rigueur, de montrer comment. Après une brève synthèse théorique portant sur la notion de voix narrative, et incluant les travaux récents1 sur la question, il s’agira donc, exemples à l’appui, de recenser et d’analyser les procédés déceptifs qui contribuent à désoriginer l’énonciation de ces fictions. De Biographie comparée de Jorian Murgrave à Songes de Mevlido, en passant par Des anges mineurs (pour s’en tenir — momentanément — au corpus signé « Antoine Volodine »), on constatera en particulier que prédomine ce procédé apparenté à la métalepse, que Gérard Genette proposait jadis de baptiser « pseudo-diégétique » — dont on verra en outre quelles répercussions il exerce sur le présumé degré de réalité du contenu narratif, donc sur la lecture. Il conviendra de plus de s’intéresser à la façon (aux façons) dont cette déceptivité énonciative est régulièrement dialectisée. La métatextualisation du tremblement vocal constituera donc le deuxième temps de ces analyses, sous l’égide de la formule désormais bien connue (parmi nous): « entre la 1ère et la 3ème personne, il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette ». Ce qui conduira, au prix d’une modeste extrapolation, à transgresser les frontières de la fiction, pour examiner les liens complexes de l’auteur (si cette notion peut être maintenue), des (sur- ?)narrateurs et des personnages. Examen auquel incitent vivement les phénomènes de diversification hétéronymique, dont l’émancipation récente de Lutz Bassman constitue le dernier avatar en date. Pour finir, l’analyse de ces rebondissements hétéronymiques aboutira donc à la prise en compte, dans l’œuvre comme à sa périphérie (si cette notion peut être maintenue, bis), des enjeux de ce traitement anomique — entre aphonie, polyphonie, ventriloquie, babélisme… — de la voix dans tous ses états.
1 En particulier: Sylvie Patron, Le Narrateur, Paris, Armand Colin, 2009.
Jean-Didier WAGNEUR : Volodine à vau-l’eau
« Volodine à vau-l’eau » est le titre d’une communication qui aurait voulu se réclamer d’une unterkritik volodinienne (en cours d’élaboration). En différant cette approche, elle propose pour l’instant de dériver simplement dans une fiction: « Ecrivains ».
Antonin WISER : Espace(s) utopique(s) de la littérature : Volodine / Adorno Un archipel post-exotique, essai de lecture géo-critique de Des anges mineurs
Dans l’espace dévasté des mondes post-exotiques volodiniens, l’espoir semble bien s’être travesti en son contraire absolu. L’idée que l’art le plus sombre — celui qui se dessine sur des ruines en les redoublant — soit l’image cryptée de l’utopie est empruntée à Adorno, pour qui « les œuvres d’art sont promesses au travers de leur négativité jusqu’à la négation totale ». Cela affecte l’espace du récit, qui se désagrège jusqu’à devenir à peine habitable, presque un non-lieu. Seul le muthos, la fiction comme (production de) ce qui existe, paraît sauver quelque chose de la possibilité d’un lieu commun, d’un espace social possible, à l’instant même où elle l’exhibe en sa fictionnalité. Il semble alors que ce soit la littérature en tant que telle qui recueille sur un mode paradoxal l’intention utopique autrefois portée par la politique ou la philosophie. C’est en ce point que les traces des écritures de Volodine et d’Adorno convergent.
Avec le soutien de l’Université Paris 8
(Équipe de recherche « Littérature et histoires », École doctorale « Pratiques et théories du sens », BQR),
et de l’Université de Provence
(Centre Interdisciplinaire d’Études des Littératures d’Aix-Marseille)