Antoine Volodine à Prague ou Un interrogateur interrogé, par Vaclav Richter, émission Rencontres littéraires, Radio Prague, le 12/05/2007.
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Pour mémoire :
La foire « Le Monde du Livre » a attiré à Prague plusieurs personnalités littéraires importantes dont l’écrivain français Antoine Volodine, auteur mêlant dans ses romans psychiatrie, onirisme, science-fiction et politique. Sa prodigieuse fantaisie associée à un style très personnel permet à cet écrivain de créer un univers romanesque très particulier. Son roman « Des anges mineurs » (Prix Inter 2000) a été traduit en tchèque par Mirka Sevcikova et publié aux éditions Paseka. A la foire « Le Monde du Livre », Antoine Volodine a signé ses livres, a participé à une lecture de ses textes et a répondu aussi aux questions de Radio Prague.
Je vais commencer par une question un peu inhabituelle. Pourquoi vous appelez-vous Antoine Volodine ?
« C’est un choix. C’est moi qui ai forgé ce nom. D’une part, j’ai dans mon histoire personnelle des grands parents qui sont liés à la Russie, donc j’ai été élevé dans l’amour de la Russie et de la culture russe, et d’autre part ce nom, Volodine, a été choisi, fabriqué par renvoi à une situation personnelle que je n’ai pas à expliquer ici. C’est aussi à partir du diminutif Volodia que j’ai forgé ce nom. C’est un nom courant. Volodia c’est à la fois Vladimir Ilyitch Lénine et Vladimir Maïakovski. Donc c’était déjà une liaison entre poétique et politique. »
Vous êtes entré dans la littérature par la science-fiction. Est-ce que c’est un genre important pour vous. Quel est le rôle que la science fiction a joué dans l’ensemble de votre oeuvre ?
«Mes premiers livres sont parus dans une collection de science fiction, mais je pense que ce ne sont pas des livres de science-fiction. J’ai beaucoup lu de la science-fiction pendant une période de ma vie, pendant deux ans j’ai presque exclusivement lu de la science fiction, et lorsque je me suis mis à écrire pour être publié, j’ai profité de ces leçons que me donnait la science fiction pour parler du monde d’aujourd’hui en inventant des mondes très différents. »
Le roman « Des anges mineurs » est votre premier livre traduit en tchèque. Quelle est la place de ce livre dans l’ensemble de votre oeuvre ? Croyez-vous que c’est un bon choix pour vous présenter aux lecteurs tchèques ?
« Je pense que c’est un très bon choix. Il a relation avec d’autres livres, parce que je construis quelque chose qui est un vaste projet romanesque avec des personnages qui vont de livre en livre, avec une tonalité qui est commune à plusieurs livres. Dans ce livre « Des anges mineurs » on trouve à peu près tous les thèmes que j’ai développés ailleurs, les thèmes de la mémoire historique, de la disparition de la mémoire, de l’engagement politique, de la tentative de transformer le monde par le rêve, et puis une relation musicale et onirique à la réalité et au monde. C’est donc une sorte de concentré, un livre très important dans ma production, et je pense que c’est une bonne idée d’avoir choisi ce livre. »
Souvent vous utilisez dans vos romans le procédé de l’interrogatoire. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?
« C’est évidemment en liaison avec une expérience politique, pas personnelle, mais qui m’a totalement marqué dans toute mon existence consciente. Bien entendu l’interrogatoire est lié à la tentative de l’Etat, de la société, de briser l’individu. Et le mécanisme de mes livres est que les individus se trouvent bien souvent dans une situation d’êtres interrogés par une collectivité qui veut les briser. Et eux, individus, résistent à cet interrogatoire, mentent à l’interrogateur, racontent des histoires, inventent des histoires, et ces histoires deviennent des livres, des romans transmis au lecteur qui, lui, a la vision de cette tension de la parole. Au moment où l’on raconte cette vision, c’est pour ne pas répondre à l’interrogatoire. »
Pensez-vous déjà en écrivant au lecteur? A un lecteur individuel, un lecteur concret, ou même une catégorie de lecteurs?
« Oui tous les écrits que j’ai signé, tous les livres qui portent ma signature sont conçus comme si c’étaient des témoignages, des captations d’une parole de narrateur, des gens qui racontent, des diseurs qui sont extrêmement préoccupés par le public qui les écoute, donc le lecteur. Dans tout ce qui concerne, tout ce qui constitue la prise de parole de mes personnages, il y a l’idée que quelqu’un écoute, que quelqu’un lit, donc il y a toujours une sorte d’adresse au lecteur. Mais en même temps, comme on a parlé de l’interrogateur et de la situation d’interrogatoire, celui qui parle, qui raconte les histoires sait qu’il va être écouté par une oreille qui peut être amie, mais qui peut être ennemie aussi. Donc il y a un jeu entre le mensonge, entre ce qu’on dit pour que les amis comprennent et que les ennemis ne comprennent pas, quelque chose qui habite le texte en permanence, une tension liée à la préoccupation principale d’être écouté, d’être lu. »
Aujourd’hui vous vous trouvez à Prague dans la ville de Franz Kafka. Il paraît que Franz Kafka a exercé une certaine influence sur vous dans la période de votre, disons, maturation littéraire ?
« Oui Franz Kafka fait partie des grandes références des transmetteurs d’images très fortes qui ont marqué mon univers intérieur et qui m’ont conduit à construire ma littérature, mon expression littéraire autour d’images fortes. En lisant Kafka, en lisant souvent quand j’étais très jeune de très petits textes, de petites nouvelles de Kafka, j’ai reçu des images qui sont restées en moi comme si elles faisaient partie de ma mémoire, que j’ai adoptées dans ma culture d’écrivain. Et c’est cela l’influence, bien entendu. Ce n’est pas le projet littéraire de Kafka dont je suis héritier, mais la rigueur, la force énorme des images de Kafka. »