Jean-Didier Wagneur, « La fraction Volodine », Libération, 6 septembre 1990.
- Article disponible sur le site des Éditions de Minuit.
Pour mémoire :
Une terroriste de la Fraction armée rouge en fuite raconte, dans un livre crypté, son expérience de guérilla urbaine. Récit dans le récit du faussaire Antoine Volodine.
« (…) C’est à Lisbonne, rue de l’Arsenal, que débute l’histoire. Elle met en scène un couple : Ingrid Vogel, membre de la Fraction armée rouge et Kurt Wellenkind, un cadre du Sicherbeitsgruppe. Amoureux d’Ingrid, le policier a monté sa “ disparition ”. Sous le nom de Waltraud Stoll, elle doit quitter le monde sur un petit paquebot hollandais pour l’Extrême-Orient : “ il avait fixé à quinze ans la période pendant laquelle ils ne communiqueraient pas, en attendant que tout se tasse ”. Mais malgré la défiance de Kurt, Ingrid pour “ ne pas mourir ”, veut laisser un témoignage sur la guérilla urbaine, un livre dans lequel elle cryptera la totalité de son expérience afin que cette trace écrite ne se transforme pas en piste pour les policiers allemands du BKA qui la traquent.
Antoine Volodine va ainsi jouer avec le roman dans le roman, topique du siècle qu’il démultiplie à l’infini et qu’il complète du thème de l’écrivain imaginaire. C’est la mise en abîme revue et corrigée par un spécialiste du chiffre et, Lisbonne exige, un familier de l’hétéronymie chère à Pessoa. (…)
Si Antoine Volodine utilise à fond la science de la fiction, il apparaît surtout comme un styliste, passant d’un genre à l’autre, d’une “ Shagga ” pseudo-quéchua à la narration la plus prosaïque, ou à un monologue intérieur d’une perfection rare. C’est peut-être ici qu’il manipule le mieux son lecteur, car il sait le consoler de son errance interprétative par la beauté d’un récit qui en relance constamment la lecture. L’auteur pourrait reprendre Rimbaud : “ J’ai seul la clé de cette parade sauvage. ” »